– Éthique de l’environnement: Lév.25

 

L’année sabbatique et l’année jubilaire (Lv.25)

Structure

  • 1-2a : Accroche
  • 2b-7 et 20-22 : Année sabbatique
  • 8-17 et 23-55 : Année jubilaire
  • 18-19 : Promesse et appels à l’observance des préceptes de Yhwh

Introduction

Lv.25 exprime, semble-t-il, « l’utopie » de la solidarité entre les humains et le reste de la création.

Les prophètes se contentaient de redire les exigences divines en matière de justice sociale, reprises par le ou les prêtres auteurs du Lévitique au chapitre 19. Les prophètes n’ont pas pu mettre en place les réformées nécessaires en application de ces exigences divines.

Le ou les auteurs du Lévitique, au contraire, envisagent, des réformes radicales qui devraient aboutir à une société équitable si ce n’est égalitaire. Lv.25 reprend des thèmes déjà présents dans le Code de l’alliance, en Ex.23,10-11 (année sabbatique), pour transposer le repos humain au repos de la terre.

Lv.25 formule sa proposition de réformes théologiques à portée sociale à partir des deux piliers qui fondent la religion d’Israël : le territoire habité par ce peuple appartient à Yhwh et ses membres sont ses sujets. Pour cela, le procédé rhétorique lui sert à faire des v.23-55, sur l’année jubilaire, le point culminant de l’ensemble des instructions données par Yhwh à Moïse.

La tradition affirme que c’est Moïse qui est l’auteur du Pentateuque, des 5 livres allant de la Genèse jusqu’au Deutéronome. Historiquement, et scientifiquement, cela n’est pas possible, car la mort de Moïse est racontée dans le Deutéronome. Aujourd’hui, la recherche est majoritairement d’accord pour dire que le Lévitique est l’œuvre d’un prêtre ou d’un groupe de prêtres.

Le principe de la remise de dette est pratiqué dans le Proche-Orient-Ancien (cf. par exemple David Graeber, La dette : 5000 ans d’histoire, Paris : Les liens qui libèrent, 2013). L’anthropologue David Graeber rapporte l’existence de cycle jubilaire de sept ans, qu’immortalise l’écriture sumérienne du mot « amargi » qui signifie « retour chez sa mère » pratiqué lors de la septième année, pour dire la remise de la dette, non pas de l’argent, mais des dettes en nature. Un tel principe semblait nécessaire pour ne pas « perdre définitivement les contrôle du système ».

Le propre de l’œuvre de Lv.25 consiste à donner un sens spirituel, religieux et théologique à la pratique agro-socio-économique de l’assolement ou de la jachère. Le Code de l’alliance ne l’a pas fait et s’est contenté de la prescription de l’année sabbatique.

Accroche (v.1-2a)

v.1-2a : « Et l’Éternel parla à Moïse, sur la montagne de Sinaï, disant : 2 Parle aux fils d’Israël, et dis-leur… »

On retrouve la formule tripartite (Yhwh, Moïse, Israël), comme en 23,1-2a.

Le Mont Sinaï
Le rappel de la montagne de la révélation divine (je suis qui je suis, buisson ardent), la montagne de Yhwh, le Sinaï, signifie l’importance de ce qui va suivre.

L’année sabbatique (2b-7 et 20-22)

v.2b : « Tu sabbatiseras un sabbat à Yhwh… »

Ce redoublement insiste sur l’objectif de Lv.25 : donner un sens religieux au repos de la terre.

Lv.25 associe la liturgie à la création par la notion de repos sabbatique. Il ne s’agit pas d’un repos revendiqué, comme dans le salut par la consommation pour fuir l’idolâtrie du travail. Il s’agit du sabbat, de ce cadeau que Dieu s’est donné à lui-même et donne à ses créatures (les humains et les autres).

v.3 : « Pendant six années, tu sèmeras ta terre… »

C’est une citation presque littérale d’Ex.23,10-11 (10 Pendant six années tu sèmeras ta terre, et tu en recueilleras le rapport).

v.4 : « Et la septième année sera un sabbat sabbatique pour la terre… »

Reprend et adapte Ex.23,11 (11 et la septième, tu la laisseras en jachère, et tu la laisseras inculte, et les indigents de ton peuple en mangeront, et ce qu’ils laisseront de reste, les bêtes des champs le mangeront. Tu en feras de même pour ta vigne et pour ton olivier.)

La consécration à Yhwh donne un sens religieux, en plus du sens technique de la jachère, au repos de la terre et à l’année sabbatique. C’est le pays entier, et pas seulement les champs, qui mis au repos.

v.5 : « Tu ne moissonneras pas ce qui pousse de soi-même de ta moisson précédente… »

Lv.25 ajoute en plus que même la récolte de ce qui pousse spontanément est interdite.


Le sabbat hebdomadaire sert de repos à l’humain, tandis que l’année sabbatique sert de repos à la terre.

 

v.6-7 : « Le sabbat de la terre vous servira de nourriture, pour toi, pour ton serviteur… Mais pour ton bétail et les animaux sauvages, le produit de l’année sabbatique leur servira de nourriture. »

Les versets 6-7 disent ce qu’il faut faire du produit sabbatique.

Le sabbat de la terre sert de nourriture dans ce sens (v.20-22) que la 6e année sera bénie et surabondante.

Le Code de l’alliance prescrit que le produit de l’année sabbatique doit être laissé aux pauvres, puis aux bêtes sauvages. Ici (v.7), le produit servira à tous les êtres vivants du pays.

L’année sabbatique rappelle que la terre appartient à Yhwh, et sert aussi à nourrir les animaux domestiques et sauvages (comme en Gn.1,29-30).

 

v.20-22 : « Que mangerons-nous la 7e année ? »

Ces versets précisent l’utilisation des produits de la terre.

Le « sabbat de la terre » du v.6 signifie ici que Yhwh « ordonnera à sa bénédiction » pour que la terre produise suffisamment la 6e année pour nourrir tous les êtres vivants jusqu’à la 9e année. Si bien qu’on ne sèmera pas la 7e année, mais seulement à partir de la 8e année.

Cette bénédiction résulte peut-être scientifiquement de la jachère. Mais ici, elle veut dire avant tout que l’on se situe, non sur le plan pratique, mais sur celui de la théologie.

Ce qui permet de faire face aux deux années de non-récolte ne vient pas d’une sage gestion comme celle de Joseph (Gn.41,33-36.47-49), mais résulte uniquement de la bénédiction, qui précède la jachère.

Elle est comparable à celle qui permit à la manne collectée le sixième jour de pourvoir à tous les besoins du sabbat. Elle est présentée non comme une promesse, mais comme une certitude.

L’année jubilaire (v.8-17 et 23-55)

À la différence de l’année sabbatique, reprise du Code de l’alliance, l’année jubilaire semble être une innovation de Lv.25. Cela explique pourquoi il détaille longuement sa description.

Première partie (v.8-17)

Les vv.8-17 décrivent la périodicité, donne le nom et indique succinctement les exigences liées à l’année jubilaire.

v.8 : « Et tu compteras pour toi sept sabbats d’années, sept fois sept ans… ».

L’introduction à l’année jubilaire est calquée sur l’introduction à la Pentecôte en Lv.23,15 (Tu compteras sept sabbats, sept fois sept jours…). La Pentecôte intervient 7×7 jours, i.e. 7 sabbats après la Pâque. Et l’année jubilaire 7 sabbats d’années.

v.9 : « Et, au septième mois, le dixième jour du mois, tu feras sonner très fort la corne de bélier ; le jour des propitiations… »

L’année jubilaire commence le jour du Yom Kippour de la 50e année, l’année qui suit la 7e année sabbatique. Le rôle du Yom Kippour consiste à faire une rupture avec l’ancienne année (« expulsion de l’année vieille », dit Eliade). Ici, il s’agit d’effacer tout ce qui avait perturbé l’harmonie de la société, afin de permettre un nouveau départ.

v.10 : « Et vous sanctifierez la cinquantième année, et vous publierez la liberté dans le pays à tous ses habitants : ce sera pour vous un jubilé… »


Le Yobel (Jubilé) renvoie à la corne de bélier (Ex.19,13), dont la sonnerie annonce le début de cette fête jubilaire. Le Yobel sonne plus fort que le Chofar (aussi corne de bélier).

Le terme derôr (libération) est associé en Jr.34,8.15.17 à la libération des serfs, et en Es.61,1 des exilés, liés à l’année sabbatique dans le Code de l’alliance (Ex.21,2-11 et Dt.15,12-18).

Ici, la libération concerne les gens du pays. Le retour à sa terre ou à sa famille est synonyme de liberté.

v.11 : « Vous n’ensemencerez pas, et vous ne moissonnerez pas ce qui vient de soi-même, et vous ne vendangerez pas la vigne non taillée… »

L’interdiction de semer n’apparaît qu’ici. La libération signifie aussi repos, comme cessation de travail de la terre. Lv.25 étend ici à l’année jubilaire ce qu’il dit pour l’année sabbatique (v.4-5).

v.12 : « Ce sera un jubilé, saint pour vous… »

L’année jubilaire est qualifiée de sainte, pour souligner sa mise à part comme année appartenant à Yhwh. Concernant le temps, ce qualificatif n’est appliqué qu’a sabbat (Ex.31,14-15).

v.13 : « Vous retournerez chacun chez soi dans sa possession… »

Le repos imposé à la terre s’intègre dans un retour à l’initial de tout le pays.

v.14-17 : la restitution des biens fonciers concerne le frère, mais pas les étrangers.

v.15-16 : « Tu achèteras de ton compatriote selon le nombre d’année par rapport au jubilé… »

Le calcul du prix se fait selon le nombre des années depuis le Jubilé. Donc, non en fonction de la superficie, comme on a l’habitude aujourd’hui, mais selon la potentialité de production du terrain.

Deuxième partie de l’année jubilaire (v.23-55)

v.23 : « Le pays est à moi… »

Quel est le but du Jubilé ? Il est clair que le but n’est en aucune manière économique, sinon à tomber dans une catastrophe économique. En effet, tout un pan de l’économie est laissé de côté : ne concerne pas le capital amassé, ni l’éleveur, l’artisan…

Le but n’est même pas pour une société parfaitement égalitaire.

v.25-38 : concernent les biens.

v.25 : « Si ton frère est devenu pauvre, et vend une partie de sa possession (par nécessité)… »

Toutes les transactions décrites ici concernent le frère qui se trouve dans la nécessité de vendre. Cette règle ne dit pas dans quelles conditions la nécessité de vendre est arrivée (paresse, faute, négligence ou maladie, sècheresse, fléau sanitaire ou social).

Lv.25 n’envisage aucune redistribution des richesses qui mettrait tous les Israélites sur le même pied d’égalité. Sauf pour les terres vendues par nécessité que les riches doivent restituer, ces derniers conservent leurs biens, leurs esclaves étrangers, et leur capital.

Tout au plus, le jubilé enraye-t-il le fossé qui sépare les riches des pauvres, et empêche que se forme une classe d’esclaves israélites à côté d’une classe de maîtres.

v.32 : « (Pour ce qui concerne) les villes des Lévites… »

Les Lévites ont une règle à part.

v.35-54 : « Si ton frère s’appauvrit auprès de toi et qu’il tende sa main devenue vulnérable vers toi, tu le soutiendras… » (v.35)

Les prescriptions jubilaires visent à garantir à chacun les ressources élémentaires (la terre) qui lui sont nécessaires pour pouvoir mener une existence autonome et donc vivre en homme libre, avec sa famille. La redistribution équitable des terres entre les différentes familles sert à cela.

Plus que sur l’égalité, Lv.25 insiste sur les liens de fraternité qui unissent les Israélites entre eux. Et sur la solidarité qui doit en résulter. Pour cela il faut un minimum d’équité car trop d’injustice ruine à la collaboration solidaire.

La richesse des uns est nécessaire afin de leur permettre de venir en aide aux autres.

v.39-54 : concernent l’esclavage

v.35-54 : « Si ton frère s’appauvrit auprès de toi… » (v.39)

Le repos qui résulte de l’identité reçue de la part de Yhwh qui l’offre sans condition, donne à l’humain israélite le courage de penser au repos de la terre. Mais le but de ce repos de la terre consiste à penser le repos du frère dans un esprit de solidarité avec toute la création, y compris le frère.

v.55 : Lv.25 rappelle et s’appuie sur les 2 piliers de la religion d’Israël :

1) La terre appartient à Yhwh.

2) Les Israélites sont les serviteurs de Yhwh

L’obéissance et la promesse (v.18-19)

v.18-19 : « 18 Et vous pratiquerez mes statuts, et vous garderez mes ordonnances, et vous les pratiquerez, et ainsi vous habiterez dans le pays en sécurité ; 19 et le pays vous donnera son fruit, et vous mangerez à rassasiement, et vous l’habiterez en sécurité. »

Puisque Yhwh « ordonnera sa bénédiction » (v.21), Israël vivra et se conformera aux ordonnances.

Ces 2 versets introduisent le Lv.26 où l’on trouve les bénédictions liées à l’obéissance et les malédictions liées à la désobéissance.

Quelques remarques

  • Le shabbat ou repos de Yhwh après les six jours de création active et matérielle crée la dimension spirituelle de la création. Il montre que personne ne peut se faire par ses œuvres, par les idées qu’on crée, par les objets qu’on fabrique ou par son travail. Car l’identité devant Yhwh, celle qui ne disparaît pas même quand tout le monde se trompe sur nous, cette identité est un don de Dieu. L’œuvre de création et la mission de servir la Création donnée par Yhwh ne trouvent leur sens que dans la contemplation de la beauté de celle-ci.
    Faute de quoi, l’homme moderne est tombé dans le piège de l’idolâtrie du travail qui consiste en faire le fondement de son identité ultime, identité revendiquée en se faisant par son travail (cf. Hannah Arendt, Homo faber).
    Mais cela a conduit l’homme moderne à perdre le sens et le goût du travail. Le travail est devenu une contrainte. Pour fuir l’esclavage du travail, l’homme moderne est tombé dans le piège opposé de vouloir se faire un nom par la consommation. Le repos comme consommation est devenu un lieu identitaire. On est prêt à arrêter les revendications et les mouvements sociaux pour pouvoir partir en vacances, dit l’auteur américain Ted Stanger dans son livre Sacrées vacances !
    Le vrai repos est un don de Yhwh pour nous dire que personne ne se fait par soi-même, par ses œuvres ou par sa consommation. Celui qui reçoit ce qu’il est comme un don de Yhwh comprend plus aisément le repos de la terre et de toute créature qui appartiennent à Yhwh, et donc le sens fondamental du sabbat et du jubilé de Lv.25.
    Le travail devient une mission pour dire merci au Créateur.
  • 25 n’a pas pour but un meilleur développement économique, ni une société plus égalitaire, mais la fraternité et la solidarité qui unissent le peuple d’Israël. Pour cela, les préceptes garantissent à chacun le minimum d’autonomie et donc de liberté.
  • Le temps sabbatique est un temps d’éternité qui se donne dans le temps chronologique et spatial, déterministe de la science et de l’homme qui doit faire et fabriquer pour manger.
  • Le repos, reconnaissance envers l’identité reçue de la part de Yhwh qui l’offre sans condition, donne à l’humain israélite le courage de penser au repos de la terre. Mais le but de ce repos de la terre consiste à penser le repos du frère dans un esprit de solidarité avec toute la création, y compris le frère. La solidarité au sein de l’écosystème n’est envisageable ici sans la solidarité entre frères (et sœurs). La fraternité est plus facile entre les enfants d’un même Père.
  • Le monde africain pratique la jachère de 2 à 3 ans (cf. Simon Dossou, dans Maintenir la flamme) : la terre se repose, le corps du travailleur aussi, la végétation se renouvelle, les arbres repoussent, les animaux fertilisent la terre à nouveau et l’écosystème rajeunit. Tout cela contribue au ralentissement du changement climatique et à la sécurité alimentaire. Pierre Rabhi dit : « Peu à peu, les hommes ne voulaient plus se contenter de tirer les bienfaits de la nature, mais la posséder. »

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Suggestion de lecture

  • Alfred Marx, Lévitique 17-27, 2011, Genève, Labor et Fides.
  • Samuël D. Johnoson et coll., Maintenir la flamme, Lyon, Olivétan, 2018.
  • Hannah Arendt, la condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983 (1961).
  • David Graeber (trad. de l’anglais), Dette : 5000 ans d’histoire, Arles, Babel, .

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