Éthique de l’environnement: Jon.1-4

Le Dieu de Jonas et la conversion écologique

Structure :

1,1-3 : Introduction

1,4-16 : La fuite

2,1-2,11 : Le grand poisson et le YHWH de Jonas

2,3-10 : Un psaume d’action de grâces

3,1-10 : Ninive

4,1-11 : Jonas sous sa hutte

Contexte

Le prophète Jonas ben Amittaï (Jonas fils de Colombe) est un personnage historique ayant vécu, d’après les historiens (qui se réfèrent à 2R.14,25), dans la première moitié du VIIIe siècle. Le nom de son père indique l’éducation qu’il a reçue, et donc sa théologie : la colombe est connue pour sa non-violence. Le Dieu de Jonas est un Dieu de miséricorde, source de la vie et non de la mort.

Mais le livre de Jonas a été rédigé à une date ultérieure, que les exégètes estiment au Ve siècle, donc postexilique. Ils s’appuient pour cela sur la présence de plusieurs aramaïsmes, vocabulaires dérivés de l’araméens, et d’expressions inhabituelles en hébreu classique.

De plus, Jn.3,3 décrit Ninive comme étant une ville « extraordinairement grande ; il faut 3 jours pour la traverser », ce qui dénote un vague souvenir. Les ruines archéologiques de plusieurs kilomètres de diamètres sont impressionnantes, certes, mais les distances ne font qu’une infime partie des plus de 100km pour 3 journées de marche. Diodore de Sicile, historien du Ier siècle avant J.-C., décrit Ninive comme étant un ville ayant 480 stades (100km) de diamètre, mais il ne parle certainement pas de la seule ville de Ninive mais de ce que de nos jours les archéologues appellent volontiers le « triangle assyrien », une agglomération comprenant les villes de Kalakh au sud (aujourd’hui Nimroud), Ninive à l’ouest (Quyundjiq), et Dûr-Sarrukîn au nord (aujourd’hui Khorsabad), et un « chapelet presque ininterrompu d’agglomérations, sur une longueur de quelque quarante kilomètres » (André Parrot, Ninive et l’Ancien Testament, 1953, p.64). Est-ce que l’auteur de Jonas pense à l’agglomération ? Peut-être, mais ce qu’il raconte est un peu exagéré : 3 journées pour les bons marcheurs de l’époque peuvent faire 200km.

Jonas se dérobe (1,1-3)

v.1:  וַיְהִי דְּבַר־יְהוָה אֶל־יוֹנָה

Littéralement, « Et devient la Parole de YHWH en Jonas ». La Parole tombe sur lui et le fait prophète. Elle entre dans son intériorité, tout en restant distinct de lui, et même opposée à sa volonté. En advenant dans le cœur de Jonas, la Parole agit par elle-même, même si on interprète volontiers que c’est bien YHWH qui l’envoie et l’adresse.

Le prophète est pris psychologiquement et moralement par la présence de la Parole de YHWH. S’il se dérobe, il sera poursuivi par sa conscience.

v.2 : וּקְרָא עָלֶיהָ

La mission consiste à « crier contre Ninive », lui annoncer des malheurs.

v.3 : Jonas se lève.

Devant la pression morale de la Parole, Jonas ne peut rester en place.

Jonas connaît un Dieu de grâce et non de châtiment. Donc il fuit cette mission contraire à sa théologie. Il essaie d’échapper à la présence de ce faux-dieu, ce dieu méchant. Mais il fuit surtout l’emprise de la Parole qui lui est tombée dessus.

Jonas essaie de préserver sa liberté ; en réalité, la Parole de YHWH le tenaille et le travaille intérieurement.

La fuite (1,4-16)

Dans la seconde partie du récit, le narrateur raconte la confrontation entre Jonas (peu prolixe) et les matelots (très actifs et volubiles).

v.4 :

Dans la tradition du dieu climatique Ba‘al (Bel pour les Ninivites), ce dernier combat la mer (יָּם , yam) et toutes les puissances mortifères qui s’y trouvent afin d’ordonner le cosmos et de construire la cité sanctuaire.

Ici, c’est YHWH qui envoie un grand souffle (רוּחַ־גְּדוֹלָה, rouah gadol) pour faire se déchaîner la mer. Souffle et mer sont des motifs de la création, comme en Gn.1,2. Là, c’est le Souffle qui combat la mer. Ici, c’est le contraire.

Ce Dieu-là fait revenir le chaos ! Mais c’est justement le faux-dieu dont Jonas ne supporte pas la présence.

v.5 :

Les matelots sont saisis de peur, à 3 reprises (v.5, 10 et 16). Ici, au v.5, ils ont peur pour leur vie. La peur devient plus profonde, au v.10, car rattachée à la toute-puissance d’un dieu. La peur devient une crainte-respect, au v.16), car YHWH met sa toute-puissance au service du droit.

Dans la théologie des matelots, si la tempête est là, c’est certainement à cause des dieux. Il s’agit d’une théologie naturelle, instinctive.

Jonas se réfugia loin de la présence de la Parole de YHWH, au fond du bateau. Jonas dormait, visiblement apaisé. Sa paix contraste avec le désarroi et l’angoisse des matelots. La théologie de Jonas ne colle pas à la simple nature, mais résulte d’une pensée, d’une réflexion sur la nature, comme l’enfant qui ne colle pas à la nature mais doit utiliser les mots de ses parents pour la penser.

v.6 :

Le capitaine ne supporte pas la paix de Jonas.

Dans sa théologie, la prière peut faire des miracles, et peut faire en sorte qu’un dieu change d’attitude et arrête une tempête (ou une épidémie) qu’il a décidé d’envoyer.

v.7 :

Dans cette théologie, des techniques permettaient de connaître ce que les dieux pensaient, afin de pouvoir stopper une catastrophe.

Sont-ce les dieux ou YHWH lui-même qui répond à travers les sorts, ou bien est-ce autre chose ?

v.8 :

Une enquête est nécessaire pour savoir la cause de la colère des dieux, et pour trouver la solution adéquate.

v.9 :

La confession de foi de Jonas, est une croyance en un dieu créateur de l’univers, et plus particulièrement qui a séparé la mer et les continents.

v.10 :

Pour les matelots, Jonas est doublement coupable : il désobéit à la volonté de Dieu ; et il a violé l’équilibre universel du cosmos. Pour eux, la tempête est une punition venant de Dieu.

v.11 :

Il faut faire quelque chose pour apaiser la colère des dieux.

Les matelots laissent Jonas décider de ce qui peut apaiser son dieu.

v.12 :

C’est la mer, et non YHWH, qui est contre eux, dans la théologie de Jonas.

Jonas pense et sait bien, mais ne se fiant pas forcément comme eux à la consultation des sorts, que c’est à cause de lui (ou du dieu qu’il fuit) que la tempête est contre eux. Il propose de sacrifier une vie pour épargner les autres, thématique reprise dans le Nouveau Testament concernant Jésus.

v.13 :

Les matelots cherchent une autre solution, afin d’éviter de sacrifier une vie humaine mais surtout pour ne pas être coupables d’un meurtre (cf. v.14).

v.14 :

Les matelots prient YHWH afin de ne pas être coupables du meurtre et en être punis.

Ce faisant, ils affirment la toute-puissance de YHWH.

v.15 :

Jonas est livré aux puissances du chaos.

Le chaos a besoin de sacrifice de la part des humains pour se calmer !

L’équilibre de l’écosystème est alors rétabli.

v.16 :

Les matelots ont besoin d’offrir un sacrifice à YHWH et lui faire des promesses. Ils se trompent encore de YHWH : c’est le YHWH qui envoie le chaos !

Le grand poisson et la miséricorde du vrai YHWH (2,1-2,11)

Ces versets racontent comment le vrai YHWH sauve et ne condamne pas Jonas. Les versets 3 à 10 racontent le confinement de Jonas dans le « ventre du ou de la Shéol » (ventre de l’enfer) ainsi que la délivrance par YHWH au passé. Cela montre qu’il s’agit certainement d’une prière insérée à cet endroit dans le récit du grand poisson. À la rigueur, cette prière aurait pu être dite après la délivrance racontée au v.11.

v.1 :

YHWH envoie le grand poisson et en est donc maître, pour sauver Jonas.

Le grand poisson ne fait pas partie des figures mythologiques ennemis du Créateur dans le motif de la création comme combat. Le poisson est plutôt une figure positive dans la bible, surtout dans le Nouveau testament.

Ce confinement dans le ventre du poisson est le signe que Jésus reprendra comme préfiguration de son confinement dans le séjour des morts, entre sa mort et sa résurrection. Même si pour Jésus, ce sera 3 jours et 2 nuits.

v.2 :

Contrairement au dieu YHWH qu’il fuyait jusque-là, Jonas invoque ici YHWH « son Dieu ». L’auteur précise donc de cette manière un changement de théologie. Jusque-là, au chapitre 1er, c’était le YHWH Juge rétributeur qui punit les pécheurs comme les Ninivites, comme Jonas qui refuse de lui obéir, comme les matelots qui s’embarquent dans la même galère que Jonas, etc.

v.11 :

Le YHWH de Jonas commande aussi au poisson pour le salut et la vie.

La terre ferme signifie la victoire sur Yam, la mer. En Gn.1, Dieu dégage la mer pour faire apparaître la terre ferme (Gn.1,9).

Un psaume d’action de grâces (2,3-10)

Ce psaume, certainement repris d’un texte plus ancien que l’époque de la rédaction postexilique, est un poème d’une telle beauté que Jean Alexandre en a écrit un livre.

D’après Jean Alexandre, ETR 2010/1, p.61-79.

En voici un exemple (Jon 2, 3-4) :

(wayyommèr –––)

râthî miççârâ lî – ‘èl- ?dhonây – wayyaca

tamtata tatamtatam – tatatam – tatatatamta

mib?èn cheôl – chiwwac tî – châmac tâ qô

tatamtatatam – tatamta – tatamtatatam

wattachlîkhénî meçû / bilvav yammîm // wenâhâr / yesov

tatatatamta tatatam / tatam tatam // tatatam / tatatamta

kol-michbârèikhâ weghallèikhâ / câlay câ

tatatatamta tatatamta / tatamtatamta

Soit :

(Et il a dit –––)

J’ai crié – de là où j’étouffais – vers mon Seigneur – et il m’a répondu

du ventre de la Mort – j’ai imploré – tu as entendu ma voix

Et un gouffre m’a jeté – dans le cœur des mers ––– et un flot – m’environne

toutes tes lames et tes vagues – sur moi ont passé

v.3 :

Tous les verbes ici sont à l’accompli (parfait ou imparfait), mais souvent conjugués dans nos traductions françaises au présent.

Le psalmiste s’adresse d’abord à l’assemblée qui l’entoure.

Dans l’angoisse qui étouffe, ou « du fond de la détresse », il ne reste plus que ce qu’on a dans les tripes, c’est-à-dire l’identité ultime, celle qui demeure lorsque tout le reste s’effondre. C’est l’identité que la lettre aux Colossiens considère comme étant cachée en Christ (Col.3,1-5).

Cette identité qui demeure au fond des tripes dans les conditions ultimes sert d’appui à une résilience possible.

Le grand poisson est représenté par le « Shéol », le séjour des morts.

Le Shéol est un monstre mythique féminin, réunissant toute la puissance de la mort. Mais il est aussi un lieu localisé au cœur de la terre. Il a un gosier qu’il « ouvre largement » (Es.5,14) afin d’avaler toute vie (Pr.1,12). Sa bouche ne sert pas à louer Dieu (Es.38,18), car il est son ennemi. Il ligote ses proies avec des cordes (Ps.18,6). Les morts sont « auprès » de lui (Es.14,15s) et « en » lui (Ps.6,6).

Dans la cosmologie du Proche-Orient Ancien, le Shéol est situé aux racines des montagnes et au fondement des océans et représente les eaux primordiales.

Comme dans tout psaume, l’orant appelle au secours. Dieu répond. Et l’orant lui dit merci.

v.4 :

L’orant s’est senti balloté entre YHWH et le Shéol.

Le gouffre (מְצוּלָה  = « profondeur »), c’est le vide immense qui se trouve au cœur des océans, et décrit le pouvoir du Shéol, représenté ici par l’océan cosmique primordial.

Le courant ou le fleuve (נָהָר  nahar du cycle de Ba‘al) est une autre expression pour désigner l’océan primordial, faisant partie des ennemis combattus par le Créateur).

Les lames et les vagues étouffent la vie, qui n’est possible durablement qu’à l’air libre sur la terre ferme.

v.5 :

Chassé de devant Dieu, car quiconque est sous l’empire de la mort est coupé de toute relation, y compris celle avec Dieu. Et inversement, la séparation d’avec Dieu est la mort.

Mais le psalmiste persévère dans son désir de Dieu, dans sa confiance en Lui, et donc dans la foi. S’il ne pouvait ni voir Dieu, ni entretenir une relation habituelle avec lui, il se souvenait au moins du temple, où il entendait souvent Dieu lui parler.

v.6 :

La crise arrive à la gorge (נֶפֶשׁ  = « gorge », « vie », « personne vivante »), à son paroxysme.

Les flots de l’abîme (תְּהוֹם  = « le chaos primordial ») renvoie aussi à la mythologie du Proche-Orient-Ancien sur le combat de la création.

Les algues (les roseaux) ressemblaient au filet dans lequel le Shéol capture ses proies (cf. Ps.18,6 : « La mort m’avait entouré de ses chaînes »).

v.7 :

C’est le Shéol qui siège à la base des montagnes.

Les verrous du pays de la Mort se referment sur sa proie.

La fosse (du tombeau) est une autre représentation du Shéol.

YHWH fait remonter la vie du psalmiste : elle n’était pas éteinte complètement, mais dangereusement affaiblie.

L’espérance ne surgit que lorsque la crise est là.

v.8 :

Le souffle (נַפְשִׁי  = « vie », « respiration ») ou la vie est à bout.

En dépit ou grâce à cet essoufflement, le psalmiste se souvint de YHWH (zakar adonaï). Se souvenir de YHWH, c’est l’appeler, le rendre présent à la pensée et à la prière.

Le psalmiste croit que sa prière parvient jusqu’à Dieu.

Le temple ici joue le rôle d’un Symbole, dans le sens d’un objet de l’expérience sensible mais qui renvoie à une dimension non sensible. Jonas pense que sa prière est entendue dans ce lieu.

v.9 :

Le psalmiste utilise son expérience spirituelle comme exhortation aux autres.

La dévotion (חֶ֫סֶד = « fidélité ») envers des objets faits de buée (הֶ֫בֶל) doit être abandonnée.

v.10 :

Les sacrifices servaient à renouer la relation avec Dieu.

Les vœux sont les offrandes que le psalmiste avait promis de consacrer à Dieu au cas où Dieu le sauverait.

Ce sont les deux rites fondamentaux qu’on retrouve dans toute religion.

Le salut de la création et de toute vie n’appartient à aucune créature, mais au Créateur seul.

En revanche, il confie aux humains la mission de proclamer et de rendre visible ce salut, en « servant » et en « gardant » la création.

La conversion des Ninivites (3,1-10)

C’est extraordinaire, mais utopique, de voir une conversion de tout un peuple en quelques jours. Cela peut montrer que le récit est une fiction.

S’agit-il du Dieu Juge rétributeur du ch.1 ou plutôt le Dieu rédempteur du ch.2 ?

La Parole de YHWH ne revient pas à lui sans avoir accompli sa mission (Es.55,11)

v.2 :

« Proférer contre » renvoie plutôt au Dieu rétributeur.

v.3 :

Re-né, ressuscité, Jonas est transformé, docile, conformiste.

La ville d’autrefois fut détruite en 612.

Au moment où l’auteur écrit, Ninive n’est plus qu’un souvenir. Les ruines de Ninive groupées autour du site actuel de Quyundjiq non loin de Mossoul, sur l’autre rive du Tigre, sont nettement plus petites.

v.4 :

La mise en quarantaine précède la punition du mauvais YHWH.

Le résumé de la prédication de Jonas permet de saisir pourquoi il refusait de la dire, puisqu’elle est contre sa théologie.

La mise sens dessus-dessous (הָפַךְ = « retourner », « chambouler ») fait penser à un retour au tohu-wabohu primordial.

v.5 :

Croire en Dieu signifie ici faire confiance au messager Jonas et au message qu’il a transmis. Cela se traduit par des actes.

Jeûne, se revêtir de sacs sont des rites du deuil. La ville est morte.

Dieu changera-t-il d’avis ? Peut-on acheter la faveur de Dieu ?

v.6 :

Robe et trône n’auront plus de sens si la ville est détruite.

Se couvrir de sac et s’asseoir dans la cendre sont aussi des rites du deuil.

v.7 :

La décision du roi semble avoir été ratifié par son gouvernement, ce qui ne se faisait pas, car les rois assyriens recevaient leur autorité des dieux et donc décidaient seuls. L’auteur veut sans doute montrer qu’il s’agit d’une solidarité de tout le peuple, et non l’obéissance à un décret supérieur.

Au fond, le décret n’ajoute rien à ce que le peuple avait déjà décidé spontanément.

v.8 :

La cessation des activités normales comporte deux éléments importants :

  • La prière (invoquer Dieu avec force)
  • Et la repentance (ferme envie de commencer une vie nouvelle)

Cette vie nouvelle consiste surtout à éviter la violence (חָמָס).

La violence reste attachée aux mains, au corps. Il faut s’en débarrasser.

v.9 :

Revenir sur sa décision, c’est se repentir.

YHWH est-il un Juge implacable, ou un Dieu capable de se repentir par amour ?

v.10 :

YHWH revient sur sa décision. C’est le vrai Dieu de Jonas. Avait-il prévu à l’avance de ne pas tuer ? C’est ce qu’espérait Jonas, et qui l’a fait fuir de l’autre YHWH qui n’avait pas prévu un tel revirement.

Mais cela implique un changement, une conversion de la part des Ninivites.

Jonas sous sa hutte (4,1-11)

v.1 :

Carl Keller, dans son commentaire sur le livre de Jonas, explique les raisons de la colère de Jonas. Pour lui, la plupart des commentateurs se trompent sur ce point. Ces derniers pensent que Jonas ne peut pas se faire à l’idée que ces païens, violents, méchants, ennemis de son peuple, vivent eux aussi sous le signe du pardon et de la grâce de YHWH. Keller s’appuie sur la prière de Jonas (v.2-3) pour affirmer la vraie raison de la colère de ce dernier.

v.2-3 : la prière de Jonas

Nous trouvons quatre thèmes clés dans la prière de Jonas :

1) « N’est-ce pas là ce que je disais ». Jonas estime que YHWH a laissé passer le délai fixé pour punir Ninive, et qu’il est revenu sur sa décision. Jonas savait par sa théologie que YHWH répugne à punir et à châtier, même les plus méchants et les plus égoïstes de la planète. Il savait bien que cela n’aurait pas lieu. Et que, donc, tout le malheur qu’il a subi dans le premier chapitre, sur le bateau, avec les matelots et leur théologie naturelle sacrifiant le fautif, de même que le séjour dans le Shéol, le voyage et la prédication contraire à sa théologie à Ninive, tout cela a été inutile. Il n’a rien appris de nouveau dans tout ce malheur, car il savait et sait que YHWH restera le même, fidèle à sa grâce inconditionnelle. Pourquoi YHWH l’a-t-il donc malmené de cette manière pour en arriver au même point ?

2) Jonas montre à YHWH que sa théologie est bien enracinée dans l’histoire du salut et de l’alliance entre ce dernier et son peuple, Jonas cite une confession de foi de la liturgie israélite, un résumé de la théologie de l’Ancien Testament : « Tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal. » (Jon.4,2, venant d’une parole attribuée à YHWH lui-même en Ex.34,6-7, reprise aussi en Joël 2,13). Dans une théologie universaliste, Jonas ne fait pas de distinction entre son peuple et les autres. Alors, pourquoi lui avait-il confié un message contraire à sa véritable nature ?

3) C’est cette foi en la grâce de YHWH qui a poussé Jonas à fuir la mission de « prêcher contre Ninive » : soit Dieu détruisait Ninive, et alors sa théologie s’effondre ; soit Dieu ne détruisait pas Ninive et il est jugé par les autres comme étant un faux prophète, désavoué par son dieu. Dans les deux cas, la vie deviendrait infernale pour Jonas, et la seule solution pour lui était la fuite.

4) Au deuxième appel, Jonas ne se dérobe plus, consolé de ne pas se tromper sur « son Dieu » après l’épisode du grand poisson, mais triste d’être encore dans le doute pour ce qui concerne la destruction de Ninive ou de devoir passer pour un faux prophète.

v.4 : « As-tu raison de te fâcher ? »

Dieu entend la colère de Jonas et accepte d’entrer en dialogue avec lui. Il l’invite à s’interroger lui-même.

v.5-11 : Jonas choisit de se retirer dans sa solitude

Dieu est bon pédagogue. Il utilise un ricin pour guérir la colère et le désespoir de Jonas. YHWH protège toute vie.

Quelques remarques

La conversion écologique rend visible dans l’histoire le projet de vie que Dieu insuffle à sa création. Par sa puissance de grâce, il combat les puissances à la source des convoitises humaines de toute-puissance entraînant le retour du chaos. Il ne peut mener ce combat que dans l’intériorité de chaque humain en relation avec lui, dans la foi. Jonas reste bien humain, avec sa colère et L’humain est appelé à vivre cette victoire sur le chaos et à l’incarner en le rendant visible dans sa vie personnelle mais dans la quête d’une société plus juste.

La ville est souvent présentée par les auteurs bibliques, notamment du Premier Testament, comme liée à l’orgueil et à l’idolâtrie (cf. la ville de Babel en Gn.11 par exemple). Les habitants de Ninive sont présentés comme méchants et violents (Jon.1,2). Mais la ville, comme toute construction humaine, n’est pas mauvaise en soi; c’est le péché qui détourne l’humain d’un bon usage de la ville. Jacques Ellul note que, si la bible commence par une histoire de jardin, elle se termine par celle d’une ville, la Jérusalem céleste (Ap.21). Celle-ci descend du ciel, est construite par Dieu seul, mais reprend un projet humain qu’est la ville. Une autre interprétation de cette Jérusalem nouvelle du livre de l’Apocalypse consiste à la comparer au modèle céleste (Tabnyt) du sanctuaire, dont les plans sont donnés à Moïse en Ex.25-40, en tant qu’aboutissement de la Création comme combat contre le chaos qui commence en Gn.1.

Suggestion de lecture

  • ALEXANDRE Jean, Jonas ou l’oiseau du malheur. Variations bibliques sur un
    thème narratif (coll. Sémantiques). Paris, L’Harmattan, 2003.
  • ALEXANDRE Jean, « Rencontrer l’Écriture hébraïque comme poème », Études théologiques et religieuses, 2010/1 (Tome 85), p. 61-79.

Haut de page

Quelques thèmes abordés

 

 

 

 

Contact