Éthique de l’environnement: Gn.3

La convoitise d’être illimité (Gn.3)

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Le troisième chapitre du livre de la Genèse (Gn.3) fait partie d’un ensemble dont la première partie se trouve au deuxième chapitre (Gn.2), où l’écosystème ou le biotope du jardin est posé, avec quatre acteurs : la terre, l’humain, l’animal, le Créateur.

Comment va évoluer ce système avec cet ensemble d’acteurs ?

Gn.3 raconte la dislocation des relations vitales qui venaient d’être instaurées entre ces différentes instances et qui paraissaient immuables.

Entre les deux récits de la création (Gn.1 et Gn.2) et le Déluge biblique (Gn.6-9), quelque chose se met en place : il s’agit de ce que les théologiens chrétiens appellent la « chute » d’Adam et Eve et qui change tout. On passe de l’idéal de l’humain véritable tel que Dieu le veut, à l’humain « pourri » (שָׁחַת Gn.6,12) et « violent » (חָמָס  Gn.6,13) du temps de Noé.

v.1-5 : La convoitise de vouloir être comme des dieux

Gn.3,1 Or le serpent était le plus intelligent de tous les animaux des champs que le seigneur Dieu avait faits.

Qui est ce serpent ? Il fait partie des animaux créés en Gn.2 et nommés par l’humain, partie intégrante de la Création. Il ne peut pas être considéré comme un anti-Dieu. Comme l’humain, il peut émettre des doutes, et du coup recourir à la ruse, et au bout du compte altérer les relations vitales posées dans le principe.

Gn.3,1b Le serpent dit à la femme: «Dieu vous a-t-il dit en vérité: ‹Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin›?»

Qu’est-ce que la vérité ? J’entends dans ce verset la notion de post-vérité ou de manipulation de la vérité, de fausse vérité ou fausses informtations (fake news). La vérité ne se situe plus au niveau de l’adéquation entre la parole et la réalité (entre la chose en soi et la connaissance que nous pouvons en avoir), mais dans la manière de dire une parole: la post-vérité est ainsi définie comme étant ce «qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles» (Dictionnaire Oxford 2016).

Gn.3,2-3 La femme répond au serpent: «Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: ‹Ne mangez pas ses fruits, et n’y touchez pas, sinon vous mourrez.›»

Peut-on savoir qui est Dieu, et ce qu’il exige ? La femme se crée des exigences bien au-delà de ce que la relation au Créateur demande (en Gn.2,17 « le jour où tu en mangeras, tu mourras », l’interdiction de toucher n’apparaît pas) : ne pas y toucher en plus de ne pas en manger. Elle se trompe déjà de Dieu.

Gn.3,4 Le serpent dit à la femme: «Pas du tout! vous ne mourrez pas!»

Quelle idée cela insinue-t-il sur Dieu ? Ne lit-on pas derrière une telle affirmation l’idée selon laquelle Dieu aurait menti, et que l’humain ne devrait pas mettre toute sa confiance en lui?

Gn.3,5 «Dieu le sait: le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux! vous possèderez la connaissance de ce qui est bien ou mal.»

Pour quelle raison Dieu interdit-il à l’humain la connaissance du bien et du mal? Les propos du serpent laissent sous-entendre que Dieu aurait peur de voir les humains s’approprier le pouvoir de trancher eux-mêmes entre le bien et le mal, et l’égaler, voire le surpasser (cf. v.22 : « L’humain est devenu comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal. »).

Ce que le serpent dit et qui fait succomber l’humain à la tentation, c’est la convoitise de vouloir être comme des dieux, tout-puissant dans une création centrée sur ses propres intérêts. Cela peut se traduire par vouloir oublier toute limite inhérente à la condition humaine.

Mais cela signifie aussi que, dans son envie de devenir comme des dieux, l’humain est parfois prêt à se servir de tout ce qui existe, des créatures ou parfois même du créateur. Chercher à gagner la faveur de Dieu afin d’obtenir de lui la condition divine, cela signifie le manipuler.

Cela a pour conséquence la disparition de la relation Dieu-Humain, puisque l’humain devient divin.

Quel pourrait être le lien avec la logique publicitaire ? Pour le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, le péché qui se situe à la source de toute transgression consiste dans la convoitise humaine de nommer (déterminer) le bien et le mal pour être comme des dieux (Éthique). C’est par exemple la logique de la rentabilité à tout prix ou encore celle qui sous-tend la publicité : créer dans l’humain le besoin d’un produit et qu’il dise « c’est bien de l’avoir » ou encore « c’est bon le péché ». C’est notamment ce que Romano Guardini reproche aux systèmes qui nous dictent nos besoins pour créer en nous un semblant de liberté, qui n’est en réalité qu’une liberté de consommer ce que le système produit et lui dit de consommer (La fin des temps modernes, Paris : Pierre Téqui éditeur, 1952, p. 71-72). Or, cette connaissance ne devrait venir que d’une Parole extérieure qui nous échappe mais qui nous est sans cesse à nouveau donnée et rappelée. Dans ce sens, dans la confiance en cette Parole, la nature ne s’auto-nomme pas (pour être autonome) mais reçoit son nom (et sa loi) de l’extérieur. La Loi naturelle qui régit et régule les relations entre les instances composant le biotope du jardin de Gn.2 résulte d’une pensée sur la nature et n’est pas produite par la nature elle-même. La Parole créatrice (de Dieu, mais aussi de l’humain en Gn.2,20) nomme et distingue en donnant à chaque élément un sens, mais ne sépare pas. Elle réunit sans uniformiser.

v.10-11 : J’ai pris peur car j’étais nu et je me suis caché. – Qui t’a révélé que tu étais nu ?

Gn.3,10-11 L’adam répond: «J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur car je suis nu, et je me suis caché.» -«Qui t’a révélé, dit-il, que tu es nu? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais prescrit de ne pas manger?»

D’où vient la peur humaine ? Elle vient de sa connaissance du bien et du mal. L’humain réalise (= « crée », « se rend compte », « connaît ») sa nudité. La nudité peut ici avoir le sens spirituel de la réalité limitée, non divine, de l’humain. Cette réalité n’était pas considérée comme un mal jusque-là. Mais l’adam la voit désormais comme un mal.

v.12-13 : L’humain refuse l’autonomie qu’il vient d’acquérir

Gn.3,12-13 L’adam répond: «La femme que tu m’as mise comme moitié, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé.» Dieu dit à la femme: «Qu’as-tu fait là?» La femme répond: «Le serpent m’a trompée, et j’en ai mangé.»

Pourquoi l’humain n’arrive-t-il pas à assumer ses responsabilités? L’autonomie, dans le sens d’une situation où l’humain se donne une loi (et partant une identité ultime) pour se suffire à lui-même (pour déterminer ce qui est bien et ce qui est mal), est une manière de se constituer en un tout à soi tout seul, tout-puissant et auto-suffisant. L’humain se donne un nom (Tour de Babel en Gn.11), dans un système où il exploite l’autre comme moyen d’atteindre cette toute-puissance.

Mais dès qu’il se retrouve devant Dieu, l’humain renonce à cette autonomie. Devant Dieu, l’humain constate ses fautes et ses limites, ses transgressions, et la connaissance du bien et du mal crée en lui un sentiment de culpabilité. En réalité, il se trompe sur Dieu. La culpabilité et la peur lui font dire : « Je ne suis pas l’auteur de mes actions ! Je ne suis pas responsable de mes actes ! » Là où ils auraient pu dire comme David : « J’ai péché contre le Seigneur ! » (2S.12,13). La coupure de relation entre Dieu et l’humain vient de ce refus de responsabilité, plutôt que de la transgression elle-même. Si l’humain renonce à son « Je », avec qui Dieu pourrait-il encore parler ?

Les quatre relations vitales sont remises profondément en question. L’écosystème du jardin est ébranlé.

v.14-18 : Répondent à des questions posées depuis toujours par tout être humain

Pourquoi y a-t-il de l’hostilité entre le monde des animaux et les humains (v15) ? Pourquoi les femmes accouchent-elles dans la douleur ? Pourquoi l’homme abuse-t-il du désir de sa femme pour la dominer (v.16) ? Pourquoi la terre produit-elle des épines ? Pourquoi nourrit-elle les humains qu’en échange d’un dur labeur (v.17) ?

Les frustrations originelles résultent de la détérioration des 4 relations vitales. Mais ce sont des frustrations universelles, usuelles, comme on en fait l’expérience partout. Elles n’ont été ni instituées ni fondées par Dieu. L’exploitation des femmes par les hommes, presque universelle, n’en relève pas pour autant d’une loi divine.

v.14 : Tu es maudit (אָרוּר )

Gn.3,14 Dieu dit au serpent: «Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes des champs; tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.»

אָרַר

S’agit-il d’une malédiction ou plutôt le constat d’une réalité universelle? « Tu es maudit » est comme un constat d’un fait toujours vrai en tout lieu et en tout temps de l’histoire. Le verbe (« être maudit ») est ici conjugué au participe passé, au passif, pour donner à la phrase un sens étiologique.

v.15 : Promesse messianique?

Gn.3,15 Je mettrai inimité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci t’écrasera à la tête, et toi, tu la blesseras au talon.»

Quelles sont les « descendances » désignées au v.15? Dans la tradition chrétienne, «la descendance de la femme» désigne habituellement le Messie promis qui finira par l’emporter sur le Satan figuré ici par le serpent (cf. Gustaf Aulen, Christus Victor). L’exégète Thomas Römer lit plutôt dans ce verset «l’hostilité tragique et mutuellement fatale qui oppose l’une à l’autre la descendance de la femme (c’est-à-dire l’humanité entière) et celle du serpent (probablement tout le règne animal) : l’être humain écrase la tête du serpent qui, simultanément, lui inflige une morsure mortelle» (La Genèse).

Quel est le type de relation présentée ici entre humain et animal: prédation, symbiose, collaboration ? Il s’agirait plutôt d’une relation de prédation, puisque dans la maison commune, dans notre écosystème, «humains et animaux sont unis dans une étreinte fatale» (Römer 40).

v.17-19 : À cause de toi la terre est maudite (אֲרוּרָה)

Gn.3,17-18 Dieu dit à l’adam: «Puisque tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger, le sol est maudit à cause de toi. C’est dans la labeur que tu t’en nourriras tous les jours de ta vie, il produira pour toi l’épine et le chardon, et tu mangeras l’herbe des champs.»

«La terre est maudite» est un constat. Mais c’est à cause de l’humain, à cause du péché de vouloir être comme des dieux en connaissant le bien et le mal par lui-même (autonomie dans le sens d’autosuffisance).

Gn.3,19 «À la sueur de ton front tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol, car c’est de lui que tu as été pris. Tu es poussière et tu retourneras à la poussière.»

Ni dans Gn.1 ni dans Gn.2 il n’est dit qu’à l’origine l’être humain aurait été créé immortel. Mais nos contemporains lisent ce v.19 comme s’il décrétait que la mort et la mortalité étaient le châtiment de l’être humain qui a «chuté». Cette compréhension a été introduite par le christianisme.

Il est vrai que Gn.2,17 annonçait la mort comme punition de la transgression. Mais même là, il n’est pas dit que l’être humain était immortel.

On peut lire autrement le v.19, en comprenant la mort comme étant la coupure de relation avec le Créateur source de toute vie. Et finalement, « la mort est en quelque sorte à même d’offrir une ultime protection face à un excès de souffrances : on ne peut souffrir au-delà de la mort ! » (Römer 41).

Gn.2-3 est probablement une reprise du récit de la création donné en Gn.1 à la suite d’une réflexion théologique sur la manière dont Dieu créa l’humain « homme et femme », et le reste de la création devant l’humain. Le caractère légèrement sceptique de la pensée sapientiale propre à ce récit correspondrait à la période du Ve ou du IVe s. av. JC.

v.20-24 : Épilogue. Un nouveau départ

Gn.3,20-21 L’adam donne à sa femme le nom d’Ève – c’est-à-dire La Vivante – , car c’est elle qui est la mère de tout vivant. Dieu fait pour l’adam et sa femme des tuniques de peau pour les habiller.

Par la parole de l’homme, la femme devient « la mère de tous les vivants » (v.20). Dieu donne à l’être humain les outils nécessaires pour vivre dans la réalité hors de l’idéal posé dans le principe dans le jardin. Dieu tue (sacrifie?) un animal pour couvrir la nudité de l’humain (v.21).

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