Catéchisme d’adultes : Le Christ seul

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Le Christ seul

Quand les Réformateurs protestants abordent la question du Christ comme seul moyen de salut, ils tiennent pour admis la double nature de Jésus en tant que Christ, thème ayant animé les débats lors des Conciles des 4e au 8e siècles (Nicée 325 ; Constantinople 381 ; Éphèse 431 ; Chalcédoine 451 ; Constantinople 553 ; Constantinople 681 ; Nicée 787). Dans la doctrine de la « communication des idiomes » chez Luther, les idiomes ou particularités de chaque nature (l’humaine et la divine) sont communes et indivises en Jésus, homme-Dieu. Luther estime que notre entendement ne peut distinguer Dieu et Jésus, tellement ils sont inextricablement liés. Calvin, quant à lui, reprend de Zwingli l’idée d’une non-fusion des deux natures du Christ.

Pour ce qui concerne le principe protestant intitulé « Solus Christus » ou « le Christ seul », il apparaît au XVIe s., avec les autres « soli », dans le débat entre Luther et son Église médiévale sur le rôle des indulgences dans la justice de Dieu. Il s’agit d’affirmer que nous sommes sauvés par la foi du Christ seul indépendamment des bonnes œuvres, des saints béatifiés, de l’Église visible instituée, etc.

Quel est le sens de l’œuvre du Christ ?

Dans l’histoire du christianisme, différentes hypothèses théoriques ont été élaborées pour interpréter l’œuvre du Christ. Celle-ci est alors souvent considérée comme étant une expiation. Expier consiste à subir une peine en conséquence d’une faute commise ou supposée ; par exemple, la privation de liberté est le principal moyen d’expiation en France depuis l’abolition de la peine de mort. Ainsi, dans les théories qui interprètent l’œuvre du Christ, ce dernier a subi une peine en conséquence du péché des créatures de Dieu.

Quelles sont les principales grandes théories sur cette expiation du Christ ?

La rançon

La mise en place théologique de cette théorie est généralement attribuée à Irénée de Lyon (130-202), amplifiée par Origène (185-253) et clarifiée par Augustin d’Hippone (354-430). Il s’agit d’expliquer l’œuvre du Christ comme étant l’inverse de l’œuvre d’Adam racontée dans le récit du troisième chapitre du livre de la Genèse. D’après cette théorie, le Satan a acheté l’être humain à Dieu en lui faisant manger le fruit de l’arbre défendu. Il exige alors une rançon pour libérer l’humain. Jésus, Fils de Dieu et parfaitement saint, paie par sa vie et son sang cette rançon exigée par le Satan. L’humain échappe ainsi à l’emprise du Satan et est libéré de sa dette due à sa culpabilité.

Mais l’idée selon laquelle le Christ a dû commercer avec le Satan devenait difficile à accepter par l’Église médiévale. C’est alors qu’est née la théorie de la satisfaction substitutive.

La satisfaction substitutive

Dans un contexte féodal, marqué par une vision du monde centrée autour de l’honneur dû au roi et au seigneur, Anselme de Cantorbéry propose une nouvelle théorie d’interprétation de l’œuvre du Christ. Pécher signifie ne pas rendre à Dieu l’honneur qui lui revient ; c’est à la fois une offense qui doit être effacée, et une injustice qui doit être réparée. Dieu exige une satisfaction pour réparer cette faute. Or, l’honneur de Dieu étant infini, son exigence est aussi infinie ; l’humain ne peut pas réparer l’offense qu’il lui a faite. Seul le Fils de Dieu, par sa sainteté infinie, peut le faire pour les humains. Il s’est fait homme pour se substituer à l’humain. Sa mort sacrificielle et substitutive est un hommage infini rendu à l’honneur de Dieu, dépassant largement la grandeur de l’offense du péché humain. Il satisfait les exigences de Dieu pour que l’humain soit réconcilié avec ce dernier.

Cette théorie a été reprise et reprécisée par Thomas d’Aquin.

La satisfaction pénale

Jean Calvin propose une relecture de la théorie d’Anselme en parlant d’une satisfaction par substitution pénale. Il distingue le langage sacrificiel de la propitiation et de l’expiation, et le langage judiciaire de l’imputation, de la punition, de la satisfaction et de la justification. Pour Calvin, c’est la satisfaction, grâce à l’œuvre du Christ, de toutes les exigences de la justice rétributive divine qui prive le péché, la mort et le diable de leur emprise sur l’humain : les démons « sont désarmés, tellement qu’ils ne peuvent rien produire contre nous » (CNT IV, p.86). Il y a eu un paiement et une compensation (solutio enim vel compensatio) « pour nous délivrer de la damnation » (IRC II xvii 5).

L’intra-lutheranum et l’extra-calvinisticum

Pour Luther, une créature ne peut connaître ou rencontrer Dieu qu’à travers l’homme Jésus, par son intermédiaire, en lui et nulle part ailleurs. D’où la notion d’intra-lutheranum. Calvin, au contraire, distingue l’homme Jésus d’avec le Fils éternel de Dieu. Il n’identifie pas la divinité et l’humanité du Christ. Pour lui, Jésus est totalement Christ, sans être tout le Christ (ou le tout du Christ). Pour Calvin, « puisque la divinité est infinie et partout présente, il s’ensuit nécessairement qu’elle est bien hors de l’humanité qu’elle a assumée, et pourtant elle n’en est pas moins aussi dans celle-ci et elle lui reste personnellement unie » (Catéchisme de Heidelberg question 48). L’extracalvinisticum s’inspire sans doute du principe finitum non capax infiniti, souvent attribué à Zwingli, qui ne refuse pas la présence de l’infini dans le fini (l’incarnation), mais qui affirme que cette présence déborde les limites du fini qui la porte.

Aujourd’hui

Le Christ Vainqueur du diable, du péché et de la mort

Dans une vision du monde qui n’a pas subi l’influence des Lumières, la théorie qui semble prévaloir est souvent celle du Christus Victor, du théologien luthérien suédois Gustav Aulen (1879-1977). Aulen affirme que la théorie classique de l’expiation proposée par les Pères de l’Église ne consistait pas tant en un paiement d’une rançon par Dieu au diable, qu’en une libération accomplie par la victoire du Christ sur l’esclavage du péché, de la mort et du Satan. Cela libère l’humain de tout ce qui entrave sa relation à Dieu. La pratique de l’exorcisme, souvent abandonnée par certains missionnaires européens, a été spontanément reprise par les chrétiens issus de religions animistes ou chamaniques à partir de leur lecture des textes bibliques. Cette vision du mode induit logiquement une spiritualité jésuscentrique où la victoire sur le péché, la mort et le diable est promise en Christ. Je me souviens du témoignage d’un chrétien qui racontait avoir ressuscité son canard bio en l’exorcisant « au nom puissant de Jésus de Nazareth ».

Le Christ Vainqueur des puissances démoniaques

Dans une vision du monde qui a subi les influences des Lumières, Karl Barth aborde le thème du Christ Vainqueur des puissances démoniaques. Mais chez lui, ces puissances relèvent du non-être. En tant que mensonges, elles existent. Mais elles ne doivent pas exister, et n’existent pas, en raison du « Non » de Dieu en Christ. Barth parle d’une impossible possibilité des forces du mal (Dogmatique III/3 §51). L’œuvre du Christ consiste, pour lui, à révéler le Dieu inaccessible à la théologie et à la connaissance humaine naturelles. Ce qui exclut, comme le commente Bernard Reymond, toute connaissance de Dieu qui ne soit « exclusivement connaissance du Christ mort et ressuscité » (Église et croix gammée, p.55).

Chez Paul Tillich, seul le divin dans le Christ peut vaincre la force démonique (du nazisme) : « la force démonique se brise seulement devant la divinité, l’état de possession devant l’état de grâce, la force destructrice devant le destin rédempteur » (La dimension religieuse de la culture 1990 p.151). Tillich distingue le non-être absolu ou néant intégral (le ouk on) du non-être relatif (le mè on). Ce dernier se définit en fonction de l’être qu’il nie, et dont il dérive et dépend en lui étant « hostile » dans une relation dialectique (Systematic theology 1, p.188). Le Christ Jésus, moyen de révélation de Dieu, est le seul qui s’efface complètement afin de révéler Dieu en mourant sur la croix.

Le Christ révélant un Père symboliquement humain

Le christianisme naissant a repris le concept sacrificiel pour penser l’œuvre de Dieu en Christ.

Aujourd’hui, beaucoup d’interprètes ont choisi d’utiliser des concepts psycho-anthropologiques comme l’empathie : un Dieu qui souffre et qui combat le mal avec l’humain. Les exégètes s’appuient volontiers sur des passages bibliques relatant le motif de la création comme combat (Job 40-41 ; Ps.74 (73),12-17 ; etc.), où le Créateur vient combattre le Mal avec ses créatures.

Dans un passage de l’évangile de Matthieu (Mt.11,5), les copistes de certains manuscrits du deuxième siècle ont préféré mettre la résurrection des morts en fin de la liste des signes messianiques accompagnant le Christ, pour insister sur la gloire de ce dernier, et non sur l’annonce de la Bonne nouvelle aux pauvres. Pourquoi ? Probablement parce que, pour ces copistes, il était scandaleux que le Christ insistât sur la pauvreté. Pourtant, pour Jésus en tant que Christ, il semble qu’annoncer une année de grâce (Lc.4,1) et une bonne nouvelle aux pauvres (Mt.11,5) consiste à porter la pauvreté avec les pauvres, pour dire que cette pauvreté n’a pas le dernier mot. Et c’est pour Jésus, je le crois, le signe par excellence de sa messianité : assumer la condition humaine jusqu’au bout, avec la pauvreté qui lui est inhérente, allant même jusqu’à la mort sur la croix. Jésus invite ainsi les faibles, que nous sommes tous, à assumer nos propres limites. Il combat notre pauvreté en l’assumant avec nous. Plus besoin que l’humain se prenne pour dieu. En Christ, Dieu se révèle humainement.

Nous vivons aujourd’hui dans un système qui nous infantilise, pire qui nous déshumanise, ne serait-ce qu’en nous offrant un semblant de liberté de consommer selon nos choix, qui sont en réalité créés, dictés et structurés par le système. En quoi Jésus est-il le Messie qui sauve l’humain aujourd’hui ? Il l’est car lui seul humanise l’humain, en révélant un Dieu humain, qui ne se laisse pourtant pas manipuler par l’humain.

Seul le Christ annonce la religion comme confiance dans la grâce de Dieu. Il vient lui-même vivre cette religion. Nous sommes sauvés par grâce par le moyen de la foi du Christ seul. Cela suscite en nous la foi confiance.

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