Bible ensemble : Ep.4,17-5,21

 

La grâce se pratique selon un impératif contextuel

 

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Introduction

L’ensemble 4,17-5,21 est conjugué à la 2e personne du pluriel, à l’impératif.

Il ne s’agit pas de l’impératif catégorique de Kant qui est intégré par la conscience morale, rendue de cette manière auto-nome. Il s’agit plutôt d’un impératif contextuel et relatif, comme des conseils d’ami, adaptés à une circonstance particulière, valables en un lieu et un temps, limités et déterminés.

Le texte frappe par le nombre de références qui viennent à l’appui du discours, pour fonder son autorité : « donc » (oun, en 4,17 ; 5,1.7.15) ; « comme » pour dire une analogie (kathôs kai, en 4,17.21.32 ; 5,2.3) ; « selon » (kata, en 4,22.24) ; « parce que » (oti, en 4,25 ; 5.5.16) ; « c’est pourquoi » (dio legei, en 5,14 avec un appui sur l’AT).

Structure : les 4 paraclèses

  • 17-32 : Se dévêtir de l’homme ancien pour se revêtir le nouveau
  • 5,1-5 : Invitation à imiter Dieu
  • 6-14 : Invitation à être enfant de lumière. Chant pascal.
  • 5,15-21 : Invitation à être inspiré de l’Esprit.

4,17-32 : Dévêtir et revêtir

v.17 : Vous ne devez plus marcher introduit un contraste entre un avant et un après pour l’homme nouveau. S’agit-il d’un 3e usage de la loi ? ou plutôt d’un nouveau rapport à la même loi ?

v.18 : Obscurcie introduit le thème de la lumière repris plus loin (5,6-14). Étrangers à la vie de Dieu signifie une aliénation, ici due à l’ignorance et l’endurcissement : il s’agit d’un refus de reconnaître le Seigneur et ce qui lui est dû.

v.19 : Ignorance et endurcissement entraînent des déviances : une mauvaise conduite résulte d’une mauvaise connaissance de Dieu. Anesthésiés, ayant la conscience morte (ἀπηλγηκότες), l’humain n’entend pas l’illumination intérieure de l’Esprit. Se livrer à l’impudence de celui que rien ne retient (stade esthétique de Kierkegaard), ayant la conscience morte, sans réflexion éthique. Cupidité (πλεονεξίᾳ), c’est le désir d’avoir plus qu’autrui, c’est le terme clé de la logique de toute-puissance, de la convoitise de devenir comme des dieux, à la base de la domination illimitée affligée par l’humain à la création.

v.20 : Apprendre le Christ (μανθάνω, être disciple, informer ou former), appartient au vocabulaire de la catéchèse chrétienne. L’apprentissage du Christ est explicité dans la suite : le recevoir et marcher en lui.

v.21 : Entendre (la prédication) et être instruit (par la catéchèse) constitue l’apprentissage du Christ. La vérité est en Jésus. Il ne faut sans doute pas entendre ici une articulation entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi.

v.22 : Se dépouiller (ou se dévêtir, ἀποτίθημι) appartient, comme se revêtir, à la symbolique du baptême. C’est un changement externe, contrairement à l’anthropologie paulinienne du changement intérieur (Rm.7 ; 2Co.4). Le vieil homme (ou homme ancien) est l’antitype de l’homme nouveau. Il est caractérisé par sa conduite (ἀναστροφὴ) qui appartient au passé révolu.

v.23 : Renouvellement de l’esprit (et) de l’intelligence (ἀνανεοῦσθαι τῷ πνεύματι τοῦ νοὸς), je préfère sans la conjonction et pense que le renouvellement spirituel impacte sur la raison et l’entendement.

v.24 : Revêtir appartient à la symbolique du baptême. L’homme nouveau vient ici après le renouvellement de l’intelligence (alors que c’était soudé chez Paul). Ici (alors que le contexte était ecclésial en 2,15), le contexte est dominé par la vocation éthique. Créé selon Dieu renvoie à Gn.1,26, à l’acte créateur et à l’image de Dieu (cf. Ph.2,6), avec la mission de « régner ». La nouvelle création n’élimine pas le projet initial mais l’accomplit. Tout est produit par la vérité. La vérité en question ne correspond à aucune entité universelle : elle a sa réalité en Jésus (v.21).

v.25 : Les v.17-24 rappellent l’œuvre de Dieu qui renouvelle et crée l’homme nouveau en nous. À partir du v.25 commencent les conséquences (« par conséquent » au v.25) concrètes et pratiques de ce que Dieu fait dans nos choix au quotidien, sous forme d’un impératif lié au contexte. L’auteur invite davantage à une réflexion critique sur l’éthique qu’à une obéissance à une religion d’autorité ou à un code moral.

Vérité/mensonge : être vrai, être soi-même nécessite beaucoup de courage. La grâce se propose d’être source de courage d’être soi-même : « Ici il t’est permis d’être toi-même… » (Bonhoeffer). Être membres, les uns des autres, est une motivation remarquable de l’éthique « chrétienne ». Apprendre le Christ se traduit en ce respect de l’autre. La catégorie de prochain, au sein du peuple de Dieu (AT), correspond à celle de membre, au sein du corps du Christ (NT).

v.26 : La citation du Ps.4,5 (LXX) donne au texte une portée morale, interpellant ceux qui « cultivent vanité et mensonge », ayant le « cœur lourd ». C’est moins catégorique que l’idéal stoïcien pour qui tout emportement est déjà un mal en soi.

v.27 : Donner accès (τόπος) au diable, sous-entend que le diable guette et cherche à entrer. Le terme diable est étranger à Paul (et Marc).

v.28 : Le vol doit être abandonné. Le travail est proposé comme solution pour éviter le vol (à Madagascar, lorsqu’on empêche les gens de faire du petit commerce en bord de route, la délinquance augmente). Le travail sert à gagner de quoi donner aux démunis. C’est le but du travail chez Calvin, et cela procure selon lui du repos et de la reconnaissance.

v.29 : On passe des actes aux paroles. Une bonne parole contribue à l’édification du corps du Christ, une mauvaise parole contamine le corps du Christ. Communiquer une grâce= communiquer un don (χάρις).

v.30 : Attrister l’Esprit est parfois considéré comme le péché impardonnable. Ici, pourtant, il est rangé avec l’éthique. La relation à autrui révèle la relation première qui unité l’humain à l’Esprit. Le baptême de l’Esprit implique une relation saine avec celui-ci.

v.31 : Faire disparaître ce qui est ancien, avec une liste qui fait penser aux éléments du vieil habillement à abandonner. Certains y voient les échos de l’Exode : notamment l’amertume des herbes amers.

v.32 : Le pardon remplace les mauvaises paroles du v.31. La liste concerne les relations mutuelles et le vivre ensemble. Les 3 recommandations : bonté, miséricorde et pardon renvoient à 3 attributs de Dieu dans l’AT. Ici, elles deviennent désormais des caractéristiques du vivre ensemble. Nous sommes déjà introduits dans la 2e catéchèse qui s’inspire de l’appel à imiter Dieu.

5,1-5 : Imiter Dieu

Dans ces cinq versets, l’auteur invite ses lecteurs à imiter Jésus-Christ, qui s’est livré lui-même. L’exclusivisme de ces versets peuvent choquer. Rappelons qu’il s’agit d’une catéchèse et que l’impératif est contextuel.

v.1 : Comme des enfants bien-aimés de Dieu appelés à aimer à leur tour. Paul utilise Τέκνα pour s’adresser à ses lecteurs (ses enfants dans le Seigneur). Imiter Dieu participe à la théologie de l’alliance : humain créé à l’image de Dieu (Gn.1,26), avec la mission du lieutenant de « régner » sur la création. Chez Paul, il fallait imiter l’apôtre. Les synoptiques appellent à suivre Jésus. Imiter Dieu ramène au Christ (v.2).

v.2 : L’auteur invite ses lecteurs à suivre le modèle du Christ qui s’est livré lui-même. Le verbe « se livrer soi-même » désigne le sacrifice de Jésus. Pourtant, ailleurs dans le NT, il n’est pas question de sacrifice de Jésus, et le refus des sacrifices est attesté à trois reprises. Et lorsqu’il est employé, le vocabulaire sacrificiel concerne l’offrande de la vie chrétienne (Rm.12,1 ; 1Pi.2,5 ; Ph.2,17 ; 4,18). Ici, c’est l’inverse : comme s’il fallait que le Christ puisse être modèle.

v.3 : Exclusion de toute immoralité, y compris verbale. Une catéchèse morale appelle les chrétiens à rompre avec le monde. On a une liste avec une trilogie : inconduite sexuelle (Πορνεία), impureté (ἀκαθαρσία) et l’ambition de posséder « toujours plus » (πλεονεξία). Cette liste correspond à ce que rejette la prédication juive et l’enseignement stoïcien.

v.4 : Comme en 4,29.30 : aliénations de la parole. La bonne parole consiste en des actions de grâces.

v.5 : Sachez : retenez bien les avertissements qui suivent. L’idolâtrie résume toute immoralité qui justifie une exclusion. L’exclusion du royaume du Christ et de Dieu est au présent, dès maintenant. En tête de cette petite catéchèse se trouvent l’invitation et l’annonce. À la fin se trouve l’exclusion.

5.6-14 : Enfant de lumière

L’auteur présente ici la troisième catéchèse pour les enfants de lumière. Mais on n’a que deux mots qui indiquent la nature littéraire du texte : « donc » (v.7), et « marchez » (v.8).

v.6-7 : Les fils de la rébellion ou fils des ténèbres sont opposés par l’auteur aux fils de la lumière (v.8). Les vains discours abordent le fondement théologique de ces catéchèses éthiques. Le contenu n’est pas plus donné ici qu’en 4,14 (vent de doctrine par les hommes malveillants) ou en 4,22 (convoitises trompeuses). Il s’agit de l’enseignement et de la pratique qui en découle. Avoir part fait penser à l’exclusivisme paulinien de 1Co.10,14-22.

v.8 : On a ici, ténèbres/lumière, la deuxième opposition de la catéchèse baptismale, après celle jadis/maintenant. Cela implique un passage, un exode. Dans le Seigneur, la lumière c’est le Seigneur. La lumière qui traverse tout le NT renvoie de manière eschatologique au jour de Dieu. À la genèse de la création, la lumière repousse les ténèbres (Jn.1), et à la résurrection finale, elle les anéantira ; au centre de l’histoire, elle a brillé de tout son éclat à l’aurore pascale. À Qumran, la lumière est identifiée à la Torah. Notre passage est marqué par la prédication baptismale, à partir de Pâques où la christologie et l’eschatologie ont fusionné. La marche invite à l’éthique, à un comportement qui exprime et manifeste le statut de l’humain nouveau. Enfant est plus fort que « fils » car renvoie mieux à l’idée d’une naissance, d’un passage.

v.9 : Le fruit exprime l’éthique luthérienne du bon arbre qui produit forcément de bons fruits. Chez Paul (Rm.6,21 ; 7,4), et dans la tradition paulinienne comme ici, il ne s’agit pas d’une alternative (entre bon et mauvais) mais d’une succession. La lumière est l’auteur de ce fruit (génitif d’auteur ou de producteur). La justice accentue ici la juste relation avec autrui. Avec la vérité, il s’agit des qualités de l’humain nouveau.

v.10 : Examiner signifie discerner, prendre du recul, réfléchir, peser le pour et le contre… et suppose l’action de la raison humaine (la « conscience morale »). Ce qui est agréable ou ce qui plait au Seigneur (Rm.12,1-2 : renouvellement de l’intelligence pour discerner ce qui plait au Seigneur). Faire plaisir au Seigneur (la reconnaissance, pour dire merci) devient le motif du discernement éthique, et non plus l’obéissance en vue du salut.

v.11 : Infructueuses ou stériles sont les œuvres des ténèbres par oppositions à la bonté, justice et vérité des fruits de la lumière (v.9). Mc.4,19 dit que ce sont les soucis de ce monde qui rendent les œuvres infructueuses. Condamner ces œuvres consiste à les s’y opposer en les réfutant et démasquant grâce à la lumière (cf. v.13).

v.12 : Ce qui est honteux à dire contredit la dénonciation du v.11, sans doute pour faire la différence entre le commérage complice et la dénonciation courageuse. Le secret (cf. ésotérisme, etc. ?) ou ce qui est caché vient s’opposer à ce qui est manifesté, l’opposition caché/révélé renforçant celle ténèbres/lumière.

v.13 : La lumière, comme la loi, révèle le péché : peut-elle sauver ? ou est-ce la grâce seule qui sauve ? La lumière combat le mensonge (thème johannique).

v.14 : Trois thèmes se conjuguent : résurrection, lever du jour et lumière. Le passage de la mort à la vie illustre le passage de la nuit au jour et des ténèbres à la lumière. L’auteur reprend un hymne, comme s’il s’agissait d’une citation scripturaire.

5.15-21 : Être inspiré de l’Esprit

Les courtes phrases sont de type sapientiel. La pointe se trouve dans l’appel à être remplis de l’Esprit, qui relie la sagesse inspirée du début (v.15) et la sagesse célébrante de la fin (v.20-21).

v.15 : Se conduire comme des sages reprend Col.4,5 « marchez dans la sagesse », avec la marque éthique. Avec circonspection ou attentivement introduit un appel éthique encore plus insistant.

v.16 : Racheter le temps (καιρός) ou le moment favorable, l’instant donné, le temps présent. Les jours sont mauvais constitue une nouvelle motivation. Cela fait penser à toute crise du temps présent, et notamment la crise environnementale, les dangers qu’encourent la planète.

v.17 : Inconsidérés (ἄφρων) ou dépourvu de raison, ayant perdu le sens, explicite le manque de sagesse (asophos) pour dire le danger qui guette l’enfant de lumière : perdre ce qui motive son existence, à savoir l’adhésion à la volonté de Dieu (même loi, mais perçue comme volonté de Dieu, comme dans le 3e usage de Calvin et de Mélanchton).

v.18 : L’ivresse va de pair avec la vigilance. L’ivresse est symbole de l’aliénation. Dans une longue tradition philosophique (notamment chez les gnostiques), l’ivresse fait partie de ce qui arrache l’humain à lui-même, au même titre que l’esclavage, l’exil, l’oubli, le sommeil, la torpeur, l’ignorance ou la cécité. On reste dans la folie/sagesse. L’ivresse est opposée à l’action de l’Esprit. L’Esprit inspire l’enfant de Dieu.

v.19 : L’Esprit invite à la vie communautaire, en assemblée mais aussi au-delà (v.20 : en tout temps). S’entretenir (λαλοῦντες) par des hymnes (chants fixés dans la liturgie), des chants inspirés (plutôt des spontanés non fixés à l’avance). Chanter (ᾄδοντες designait le chant vocal) et célébrer (ψάλλοντες désignait la musique instrumentale) pour louer le Seigneur. De tout votre cœur (avec des variantes) signifie que la louange monte du fond de nous-mêmes. Le Seigneur est-il ici Dieu ou le Christ ? Le flou est sans doute volontaire et théologique lourd de sens.

v.20 : L’eucharistie (au sens étymologique) est proposée à l’enfant de lumière au v.4 et revient ici, comme motivation nouvelle, attitude appropriée, permanente, pour dire merci à la grâce de Dieu. La reconnaissance et la louange dicte l’éthique de l’enfant de lumière.

v.21 : La soumission mutuelle introduit la catéchèse paraclétique suivante (v.22ss). C’est la base de l’ecclésiologie de Bonhoeffer. C’est la base de l’éthique de l’environnement qui en découle, en l’étendant à la soumission mutuelle de toute créature. La crainte du Christ devient une motivation.

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