Bible ensemble : Ep.3,14-21

 

La prière du pasteur pour ses brebis

 

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Introduction

Notre péricope consiste en une prière d’adoration, avec des motifs enrichis par les propos sur le mystère (v.2-13). J’y trouve des similitudes, comme en résonnance, avec le Magnificat (Lc.1). La pointe de la prière est centrée sur la croissance et la conjonction du corps dont le Christ est la tête, thème qui sera repris en Ep.4.

On peut, à l’aide d’une analyse structurale, voir une inclusion mettant notre péricope au centre de l’épître :

1/1-2     Salutations
1/3-14   Les forces données en Christ
1/15-19 Prière/Intercession
2/1-10    Passage de la mort à la vie
                         2/11-22    Duo : Juifs et païens
3/1-12    Le corps/Eglise
                                                         3/13    Je vous demande de ne pas perdre courage /  à cause de mes détresses

3/14-21 Liturgie : louange, action de grâce, intercession 

                                                         4/1      Je vous encourage à être digne de l’appel / moi le prisonnier
                                         4/2-16    Le corps/ses différents membres
4/17-32    Duo : L’homme ancien et l’homme nouveau
5/6-20    Passage des ténèbres à la lumière
6/18-20  Prière/Supplications
6/10-17  Être fort, tenir bon, par la force souveraine du Seigneur
6/21-24  Salutations

Structure d’Ep.3,14-21

    • 14-15 : Le pasteur prie pour le troupeau
    • 16-19 : L’amour, fondement de la foi
    • 20-21 : La gloire de Dieu

Explication

v.14-16 : Le pasteur prie pour le troupeau

v.14 : Je fléchis les genoux « introduit, selon Bouttier, solennellement la prière, prosternement de l’être entier devant celui qu’on adore. Le possessif (lit. Mes genoux) n’est pas plus nécessaire en grec qu’en français, mais renforce l’intonation personnelle de la prière placée dans la bouche de l’apôtre. L’attitude ordinaire de la prière juive est la station debout. Mais en certaines occasions, la prière s’effectue à genoux. » (B 154)

Le Père : sans possessif, sans référence au Fils, le Père apparaît dans son unicité cosmique que confirme le v.2. Il est le sujet des actes salutaires.

v.15 : Famille (patria) perd l’assonance avec Père (patera). Certains traduisent « patrie » (mais c’est la terre) ou « paternité » (mais c’est l’origine et non le résultat). La famille d’en-haut désigne, selon Bouttier, l’ensemble des créatures célestes comprenant plusieurs sous-ensembles (principautés, trônes, chérubins, anges…). Le texte englobe « la totalité, ciel et terre, visible et invisible, sans opposition ». En parallèle, pour moi, la famille d’en-bas englobe toute créature, depuis les minéraux inertes jusqu’aux organismes les plus complexes, en passant par tout ce qui est création de créature. « Ep.3,15 étend, pour Bouttier, la paternité de Dieu à l’ensemble des êtres. On s’avance en direction de l’hellénisme. Depuis Homère, Zeus est chanté comme le “père des hommes et des dieux” (Od.1,28). » (B 155). Dans la bible, « Dieu n’est jamais père par engendrement ». « Il l’est, non par cosmogonie, mais par ce pouvoir de nomination qui appelle à l’être, suscite et ressuscite, donne destination à chaque créature. » (ibidem).

v.16-19 : L’amour, fondement de la foi

v.16 : La gloire joue un rôle à la fois extensif (rassemble les familles) et intensif (exprime une grâce sans limite). C’est Dieu qui donne d’être. Prier, c’est correspondre à cette grâce.

Le verbe fortifiés (krataiôthénai) est rare. Ici, c’est l’Esprit qui agit sur l’homme intérieur (comme en Rm.8,15-17). L’homme intérieur est le noyau de l’être nouveau, suscité par l’Esprit, chez Paul en Rm.8. Il rassemble les dispositions qui donnent à l’humain le courage de croire.

v.17 : Habite en vos cœurs (katoikèsai) reprend l’idée de demeure de Dieu (l’Église en 2,19-22 ; le cœur ici) : une correspondance entre l’Église et la vocation personnelle. Il ne s’agit pas de faire de chacun un modèle réduit de l’Église, mais de reprendre deux promesses de l’AT : « Dieu fait sa demeure en son peuple, et, dans la nouvelle alliance, Dieu inscrira sa loi dans le cœur de chacun » (B 158).

Le cœur est un autre terme pour désigner l’être intérieur. L’habitation de Dieu dans le cœur conduit à la mystique chrétienne.

Par la foi : l’auteur se place ainsi dans le sillage de Paul. L’habitation du Christ dans le cœur de l’humain ne supprime pas la condition de vie dans la chair de ce dernier. Et cette habitation n’est donc envisageable que par la foi ; elle ne supprime pas la condition humaine.

Être fondés dans l’agapè de la grâce de Dieu, comme l’arbre qui puise sa sève de la terre.

v.18 : Seule la grâce de Dieu permet de relever le défi de comprendre de cette manière, dans quatre dimensions : la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur. Il s’agit sans doute d’une symbolique spatiale. Pour mieux servir sa visée d’une récapitulation de l’univers en Christ, l’auteur « y fait concourir toute pensée, nous dirions toute philosophie, toute science, toute religion » (B 162). La miséricorde de Dieu s’étend à tous, dure d’éternité en éternité, tire l’humain jusqu’à la rencontre de Dieu, et peut atteindre le dernier des pécheurs. Et cela se fait avec les autres membres de l’Église. « Les ressources personnelles sont inaptes, affirme Bouttier, à percevoir une vérité qui est une vérité de participation et d’amour. Sans la relation d’amour, elle demeure imperceptible » (B 160).

v.19 : Connaître l’amour du Christ (γνώσεως ἀγάπην τοῦ Χριστοῦ) c’est connaître ce qui surpasse la connaissance. Quelle est donc cette connaissance paradoxale ? Le but de la prière est inaccessible, l’ultime requête est impossible, car elle demande l’accès à ce qui défie l’acte de connaissance. En 1Co.8,1, Paul disait : « la gnose enfle, l’amour édifie », et en 1Co.13,2 : « quand je possèderais toute la gnose, toute la connaissance, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ». En 1Co.13,13 : « aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu », dans l’amour total.

Les auteurs bibliques dénoncent toute sacralisation de la nature. Le péché d’idolâtrie consistait dans l’Ancien Testament à diviniser et à sacraliser les créatures. La raison éclairée par la Parole de Dieu (Ps.119) permettait de dépasser les superstitions du paganisme.

Mais la connaissance humaine dépend de la constitution de l’esprit humain. Elle a tendance à replier ce dernier sur lui-même, à ne voir les autres créatures que par analogie à lui-même.

Le péché, selon Paul, consiste à se couper de Dieu pour faire soi-même son propre salut.

Luther définit le péché comme un repli sur soi-même dans l’autosuffisance de l’état de nature (homo incurvatus in se).

Kant conteste l’autosuffisance de la connaissance naturelle et la limite pour laisser de la place à la foi.

Bergson puis Husserl introduisent la notion de temps de l’existence spirituelle qui permet de saisir une dimension spirituelle qui surpasse la connaissance scientifique, qu’elle soit par l’intelligence naturelle ou par celle artificielle.

Ricœur introduit le temps du récit de soi qui permet de raconter par exemple la relation à Dieu que la connaissance scientifique ne peut pas saisir.

Mais toutes ces réformes successives n’ont pas encore tout à fait réussi à désacraliser toute créature, dont et y compris l’intelligence humaine.

Aujourd’hui, des auteurs comme Stanislas Dehaene (La plus belle histoire de l’intelligence) affirment pouvoir donner bientôt une conscience à l’intelligence artificielle, réduisant ainsi l’humanitude à l’intelligence, oubliant sa dimension spirituelle.

La plénitude (plérôma) de Dieu est en process, en mouvement : afin d’être plein de la plénitude de Dieu.

Les copistes et les exégètes hésitent avec cette fin du v.19. Une variante écrit : « afin que s’accomplisse toute la plénitude de Dieu » (sans le passif). Une autre ajoute : « à votre égard ». « Le plérôme divin s’épanouit dans la mesure où, avec tous les saints, les fidèles parviennent à la plénitude de la connaissance » (B 163). Le plérôme de Dieu a habité le Christ (Col) et, maintenant, l’église devient sa demeure (ou sinon l’église devient le plérôme lui-même).

Le plérôme est ici à la fois la puissance de Dieu qui envahit le monde, et le désir de Dieu qui est comblé en recueillant l’amour que lui voue sa création. La nature n’a de sens que considérée comme créature de Dieu. Et cela n’est possible que dans la foi.

v.20-21 : La gloire de Dieu

v.20 : Ce qui est impossible à l’humain (connaître l’agapè du Christ, qui surpasse toute connaissance), Dieu peut le faire. Voilà pourquoi, aucune créature, rien dans le monde présent, ne peut être divinisé ou sacralisé : Dieu seul est Dieu. Il est au-dessus de toutes les images que nous pouvons utiliser pour nous le représenter.

La puissance du Père l’emporte sur toute autre puissance. Elle dépasse ce que la requête (déomai) de la prière peut demander, et ce que notre intelligence et notre entendement peuvent concevoir. Ni la pensée ni la religion.

v.21 : Cette doxologie donne le sens de la devise protestante : à Dieu seul la gloire !

En dehors de Dieu, rien n’est sacré, divin ou absolu. Il ne se confond pas avec ce qui manifeste sa présence. Le protestant se révolte contre tout ce qui prétend enfermer Dieu pour le représenter ou le définir. La protestation protestante refuse d’identifier la réalité divine avec les signes qui nous en sont donnés.

Cela conteste la tendance panthéiste actuelle à sacraliser la nature (par réaction contre le rationalisme) pour pouvoir la respecter ou pour convaincre les autres à la respecter.

Sacraliser la nature revient à affirmer qu’elle est capable de se donner un nom à elle-même.

Kant contre Rousseau conteste l’existence d’une étincelle divine dans l’état de nature, suivant en cela l’anthropologie pessimiste de Luther.

Ellul, comme Barth, déclare que la création comme l’humain est contre-nature : « L’homme est un être culturel par nature. » (Morin 1973, p.100) La culture implique un langage, une parole, qui donne sens à la nature en la détachant de son autonomie et de son auto-nomination.

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