Bible ensemble : Ep.2,1-22

 

Le salut par la grâce de Dieu seule,

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La réconciliation de la création comme œuvre de la grâce

 

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De la mort à la vie (Ep.2,1-10)

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v.1-2 : L’auteur utilise ici un vocabulaire typique de l’éthique dans le Nouveau Testament, avec notamment le verbe « marcher », aux vv.2 et 10, et le verbe « se conduire », au v.3, et qui signifie littéralement « se tourner ». Il s’agit d’un vocabulaire qui dénonce la culpabilité morale dans la prédication juive. Ici, il est repris pour indiquer l’éthique qui découle de la grâce de Dieu.

v.1 : Dans sa lettre aux Romains (Rm.6,23), Paul affirme que « le salaire du péché c’est la mort », avec un singulier pour désigner le « péché » en tant que coupure de la relation avec Dieu, par opposition à la foi comme relation avec Dieu. Ici, dans la lettre aux Éphésiens, les péchés sont au pluriel, pour désigner les transgressions et les fautes qui sont comme des symptômes et des conséquences du péché en tant que coupure de relation avec Dieu. Et la mort n’est pas la même que chez Paul, mais je la lis ici plutôt dans le sens de l’humain livré à sa nature pécheresse et coupé de la relation que Dieu propose. En soi, l’humain n’est pas forcément fondamentalement mauvais (contre ce que je lis chez Locke ou Hobbes par exemple), mais c’est le péché comme coupure de relation avec Dieu qui l’aliène et le déshumanise. La lumière de la grâce de Dieu révèle les situations mortifères et ténébreuses de ceux qui vivent coupés de cette relation, et qui restent dans la condition « naturelle » (v.3) de l’humain sans l’initiative de la grâce divine qui pardonne et libère, « jadis ».

v.2 : En effet, autrefois (« jadis »), « vous avez vécu » ou « vous avez marché » (c’est littéralement le sens du verbe grec peripatéô) en étant soumis (c’est un sens possible du mot grec kata traduit par « selon ») à l’ère (aiôn) du temps, à la mode de ce monde-ci (cosmos). Certaines traductions parlent des « dieux de ce monde » (cf. par exemple la TOB ou traduction œcuménique de la bible). Or, le Prince de ce monde est hostile à Dieu, comme une pourriture (cf. Gn.6,12-15) qui contamine tout l’écosystème de la création. L’auteur nomme la logique de ce monde en l’appelant « Prince de l’empire de l’air », « chef de la puissance de l’air » ou « chef de l’autorité de l’air », selon les traductions, un « esprit » dominant le firmament et polluant la communication entre le ciel et la terre, s’interposant entre Dieu et les humains. L’esprit de l’air empesté anime et contamine les fils de la rébellion. L’air (aer) opaque et pollué étouffe la terre en l’enveloppant de ténèbres. Coupé de Dieu, le cosmos, monde ordonné, redevient un monde ténébreux et chaotique, soumis à un système rebelle à Dieu.

v.3 : À cause du péché, l’humain livré à lui-même et à la seule nature est voué à la colère de Dieu. Les convoitises charnelles résultent des tendances naturelles pécheresses de l’humain. Cette vision négative de la nature est déjà présente dans l’apologétique juive de l’époque, pour laquelle c’est le don de la Torah en tant que Loi qui délivre l’humain du « joug de la nature » ; sans la Loi, l’humain est inévitablement idolâtre (Sag.13,1). Ici, c’est la Parole de grâce de Dieu qui libère du joug de la nature. Pour que la nature retrouve sa condition de créature, il lui faut une Parole extérieure qui lui dit sa vraie identité de créature devant Dieu et non coupée de Dieu. C’est uniquement dans la foi comme relation rétablie avec Dieu que l’humain peut voir dans la nature une création, indépendamment de ses croyances et de son appartenance religieuse (circoncis ou non circoncis, etc.).

Une éthique de l’environnement inspirée par ce texte ne peut pas sacraliser la nature ni se fonder sur elle. Sans la Parole libératrice de Dieu, l’humain se noie dans ses tendances naturelles. Destinées à Dieu, les facultés ont été confisquées par le péché au profit de la chair.

v.4 : Nous étions « morts », par nature, enlisés dans une condition naturelle mortifère, mais, dans la foi, nous pouvons proclamer que Dieu nous a ramenés à la vie reliée à lui en Christ. L’intervention divine est motivée de deux manières : l’une vient de l’être de Dieu (étant riche en miséricorde), l’autre de son action ultime (à cause du grand amour…).

v.5-6 : Les verbes « co-vivre », « co-ressusciter », « co-asseoir (dans les cieux) » ne se rencontrent pas chez Paul. Ils n’apparaissent que plus tard, dans la lettre aux Colossiens (Col.2,11-13 ; 3,1-5). De même, les mots liés à la croix, très fréquents dans la lettre aux Romains par exemple, sont remplacés par d’autres mots liés à la résurrection. L’inaccompli qui caractérise la condition humaine chrétienne chez Paul (voir par exemple Php.3,7-11) est remplacé par l’accompli.

v.7 : C’est par grâce ! La grâce est comme une plénitude surabondante qui déborde et dont les conséquences dépassent la seule délivrance des baptisés. Dans sa grâce, Dieu désire montrer dans l’avenir (les éons à venir) l’étendue de celle-ci par son projet et son dessein de tout réunir et réconcilier dans l’écosystème de l’univers. Les siècles à venir, comme l’assemblée des chrétiens, sont comme des instruments que Dieu utilise pour réaliser son projet.

C’est par grâce que Dieu combat les puissances mortifères qui entraînent et/ou maintiennent la création dans la coupure de relation avec lui.

v.8-9 : Seule la grâce nous sauve par le moyen de la foi seule. « Vous êtes sauvés » : le verbe grec est conjugué au participe parfait passif pour dire que c’est accompli, puisque le temps du Messie est là. Cela change de l’inaccompli de la justification gratuite par Dieu, sans cesse à recevoir chez Paul (Php.3,9 par exemple). Les bonnes œuvres que nous accomplissons n’y sont pour rien. Paul déjà (en Rm.11,6 par exemple) établit une alternative : ou par les œuvres de la Loi (c’est-à-dire par toute prestation de l’humain que ce dernier pense susceptible de provoquer le salut) ou par la grâce. Nous retrouvons cette alternative ici, dans notre texte, mais l’auteur ne raisonne plus en termes de justification par la Loi opposée à la justification par la foi du Christ (voir Php.3,9).

En revanche, pour Luther (Traité des bonnes œuvres), tout ce qui relève du bon sens et qui est fait dans la foi est œuvre bonne. La mission, que Dieu confie à ceux qu’il a sauvés gratuitement, consiste à accomplir des œuvres bonnes dans la foi. La foi ne saurait être autre chose que le moyen (dia ici ; alors que Paul privilégiait la tournure ek pisteôs) par lequel le cadeau (c’est-à-dire le salut) est reçu par l’humain, et l’œuvre agréée comme bonne par Dieu.

L’humain enlisé dans sa nature pécheresse peut se succomber à la tentation de vouloir « tirer orgueil » de ses bonnes œuvres, dans ce sens qu’il pense pouvoir obtenir de ces dernières sa raison d’être, son identité ultime, sa valeur, à ses propres yeux comme devant les autres. Il est piégé par la convoitise de vouloir être « comme dieu ». Libéré du péché par la grâce de Dieu en Christ, au contraire, il met toute sa fierté (son orgueil) dans la fidélité de ce dernier.

Le prédicateur baptiste britannique, Charles Spurgeon (1834-1892), disait que « la crainte de Dieu entraîne la mort de toutes autres craintes ». Fonder en Christ notre identité ultime, celle qui ne disparaît pas même lorsque tout le monde se trompe sur nous, nous donne le courage de ne pas la fonder ailleurs.

v.10 : Au fond, ce qui est décisif ce ne sont pas tant nos œuvres que celle de Dieu : « En effet, nous sommes son ouvrage (littéralement son poème !) ». Ici, l’emploi du singulier pour désigner le « nous », c’est-à-dire l’Église, lui confère la mission d’être l’œuvre par excellence, puisqu’il est l’instrument principal pour l’accomplissement du « mystère » du dessein et du projet de Dieu en vue de l’édification du corps dont le Christ est la tête.

Pour l’auteur, le but de notre salut, ce sont les « œuvres bonnes ». C’est dire que, ici dans la lettre aux Éphésiens, l’éthique découle de la grâce de Dieu.

Pour Bouttier, « Dieu offre, avec la libération de son peuple, ce qui comblera son existence nouvelle. Le Seigneur avait, de même, préparé les étapes de l’exode. La grâce qui sauve est aussi celle qui prescrit, qui donne une tâche ou qui nous donne à une œuvre, selon l’une ou l’autre construction Le chemin de vie succède au chemin de mort ». La Pâque ouvre la route. (B 107)

La paix messianique (Ep.2,11-22)

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v.14 : Le Christ notre paix est l’instrument de la réconciliation (du verbe grec apokatallassô qui n’apparaît nulle part ailleurs dans la bible que deux fois dans la lettre aux Colossiens, et ici) pour faire l’unité et détruire les murs de séparation, sans réduire les richesses de la diversité et en accueillant les particularités de chacun. Cette réconciliation, offerte en Christ, nous invite et nous donne le courage de l’entraide (c’est le titre du livre du biologiste Pablo Servigne L’entraide, l’autre loi de la jungle, qui réfléchit sur l’effondrement de notre écosystème). En effet, les espèces qui survivent en cas de stress et de crise extrêmes sont, semble-t-il, celles qui abandonnent la logique de la compétition et de l’égoïsme pour adopter celle de l’entraide et de la coopération en symbiose. Seulement, pour qu’une telle logique, qui surgit souvent spontanément chez certaines espèces, puisse se vivre durablement, cela nécessite des mécanismes sociaux de stabilisation des différents niveaux d’entraide. On peut relever ici quelques mécanismes : la sécurité, l’équité, la confiance, qui sont ici, dans la lettre aux Éphésiens, suscitées en nous par le sentiment de dépendance vis-à-vis de la grâce de Dieu. Mais un écosystème a aussi besoin d’une régulation morale relevant du bon sens, qui punit les tricheurs égoïstes, tout en récompensant et encourageant les braves altruistes. Une telle régulation n’est jamais définitive, mais toujours en construction, en permanente adaptation à la culture et au langage (dont la technique) qui sont orientés par les valeurs et les convictions profondes, ici par le principe de la grâce seule de Dieu.

v.15 : Le projet de Dieu de « récapituler » et de « réunir » (anakephalein en Ep.1,10) l’univers entier en tant que création sous un seul chef s’accomplit par la création d’un Homme nouveau. Le maintien de la création contre le retour du chaos entraîne ainsi le développement de l’humain véritable tel que Dieu l’a créé, et continue à le créer. Il s’agit certainement du Christ, mais aussi de l’humain qui fonde sa fierté et sa confiance en lui. La nouvelle création, récapitulée sous l’autorité du Christ, vit de l’entraide qui découle de la grâce surabondante de Dieu.

v.16 : Cette mission de Dieu qu’il confie à l’humain devient possible, puisque le Christ « tue la haine » en mourant sur la croix et réconcilie ceux qui sont séparés.

La paix entre les créatures au sein de la création n’est pas la tranquillité ou l’uniformité. Elle est une responsabilité qui résulte de la paix du Christ.

Dans le film Il était une fois dans l’ouest, de Sergio Leone, le Cheyenne (Charles Bronson) dit : « L’humain, c’est une race ancienne. Les hommes d’affaire sont en train de la faire disparaître ». Contre tout système qui tend à aliéner et à défigurer l’humain, la grâce de Dieu se lève pour que l’humain ne soit pas enfermé dans sa nature pécheresse, mais qu’il soit sans cesse créé Homme nouveau, à l’image du Christ, apte à prendre part à l’Ouvrage auquel Dieu l’appelle.

v.18 : La mission est possible parce que le Christ donne accès au Père. D’après Bouttier, « la fin du passage privilégie de manière remarquable le champ sémantique de la domiciliation (citoyenneté, famille, construction, fondement, pierre maîtresse, temple, intégration, demeure…). Et cette construction est tout sauf un amalgame, une fusion : l’édifice est un assemblage où chaque partie a sa place, la base, le sommet, les jointures, les pierres. Cet ensemble réussit à être original tout en réunissant des idées qui le raccordent à l’ensemble du NT. Le temple de Jérusalem a été rasé : voici la demeure messianique. » (B 110)

v.19-20 : Il fait de nous des concitoyens, membres d’une même famille, d’un même écosystème. Le libre accès au Père fait de ce dernier le lieu de la présence divine. Cela engendre une dynamique et ouvre un chantier : l’église s’édifie. Ainsi, « nous » sommes une construction dont le Christ est la pierre angulaire ou la clef de voûte.

v.22 : Le Christ fait de nous un temple saint, demeure de Dieu par l’Esprit. La création retrouve son sens, sa vocation, et devient l’Église en tant que maison (oikos) où Dieu choisit de demeurer. La paix de Dieu qui règne au sein de la nouvelle création résulte de la grâce de Dieu.

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