Le mystère de la volonté de Dieu
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Pour l’auteur de ce passage de la lettre aux Éphésiens, le mystère de la volonté de Dieu consiste dans la réalisation de son projet, inauguré par la mort et la résurrection du Christ. Il s’agit « d’achever la création en modelant l’univers comme corps du Christ » (Vouga, Querelles fondatrices p.53). L’action de Dieu est perçue ici, dans la foi, comme étant une libération de toute créature pour la délivrer de tout ce qui peut la défigurer ou l’aliéner. Lecturev.7-8 « La richesse de sa grâce qu’il a déployée à notre égard » : C’est l’action de Dieu. Il déploie, il fait abonder sa grâce envers nous. Si bien que toute la vie éthique et spirituelle de celui qui accepte cette grâce y est fondée et en découle. « En toute sagesse et intelligence » : La connaissance et l’intelligence relèvent ici de la rédemption, de la libération. Dans la lettre aux Éphésiens, la connaissance joue un rôle considérable, mais dépend chaque fois de cette délivrance. v.9 « Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté… » : Michel Bouttier explique que, « dans la délivrance de l’exode, la tradition a vu poindre le renouvellement de la création entière ; dans celle de l’exil, Ésaïe a annoncé, à son tour, l’inauguration d’un monde nouveau. Ainsi l’évangile de la délivrance en Christ aperçoit-il dans le pardon le signal d’une extension de la grâce accordée aux dimensions de l’univers. Telle est la révélation apportée par la bénédiction (d’Ep.1). » (Bouttier 67). Le terme « mystère » occupe une place importante dans la lettre aux Éphésiens. « Faire connaître » (γνωρίζω) équivaut ici à « révéler » (ἀποκαλύπτω). Les notions de « volonté, heureuse disposition, projet » décrivent l’initiative divine de révéler le mystère qui est : la libération de la création entière. Théologiquement, notre texte affirme que la libération (ou rédemption) fait partie de la décision créatrice, contre Augustin qui affirme qu’elle est une réponse improvisée pour réparer les effets de la désobéissance de l’humain : « Comme l’a souligné K. Barth, ce n’est pas le péché qui donne la mesure de la grâce : celle-ci a pour dimensions l’εὐδοκία [heureuse disposition] même de Dieu. » (Bouttier 68) La disposition de Dieu passe à l’acte et s’étend jusqu’au dispositif. La « connaissance du mystère » n’est pas acquise une fois pour toutes et l’épître propose de l’élargir par l’enseignement et la prière. v.10 « En vue de la réalisation de la plénitude des temps » : Le mot « réalisation » (littéralement économie) est à comprendre au sens de « manière d’agencer un projet et de la mener à exécution ». Le projet de Dieu est l’accomplissement du dessein de salut. Et du coup, l’économie est ici la manière « dont Dieu conduit la plénitude des temps ». La plénitude des temps n’est pas (simplement) chronologique, comme en Ga.4,4 : « Quand vint la plénitude des temps… ». Ici, la « plénitude des temps » renvoie à la nouvelle création, à l’âge nouveau, à « l’ère inédite issue de Pâques », à « une plénitude temporelle et cosmique qui a commencé et que Dieu achemine à son but ultime » (B 69). « Récapituler l’univers entier dans le Christ » : « Dans sa concision et son incalculable portée symbolique, l’expression mène l’épître à un sommet ; elle a fasciné la théologie chrétienne et inspiré quelques-unes de ses grandes entreprises, en particulier, la plus ancienne par son envergure, l’œuvre d’Irénée dont elle constitue le leitmotiv. » (B 69) Dieu est le sujet du verbe. L’objet est « toutes choses », expression « pour désigner l’espace-temps cosmique, ainsi que le précise l’apposition, ce qui est sur les cieux et ce qui est sur la terre ». Comme dans la pensée hébraïque, le couple ciel-terre indique la totalité. La cosmologie de notre texte est binaire (ciel-terre), et non ternaire comme dans la vision du monde dans le Proche-Orient ancien (terre, au-dessus, au-dessous). Le Christ est « désigné comme l’instrument et le lieu de l’action » (B 69). Selon Bouttier, « une eschatologie, voire une apocalypse, se réalise dans la pacification du cosmos, et ceci, grâce à l’intronisation de Jésus comme tête du monde (Col) et grâce à la réconciliation d’Israël et des nations que l’histoire avait opposés » (B 69). Dans le verbe « récapituler » utilisé se trouve une racine qui signifie « point culminant, décisif », le « sommaire », racine qui dérive elle-même d’un mot qui signifie « tête ». Le préfixe (ana–) traduit par « ré- » marque une reprise de bas en haut (dimension spatiale) et aussi un recommencement, un de nouveau (dimension temporelle). Le verbe récapituler permet à l’auteur de notre texte de reprendre les apports christologiques de Col.1,15-20 (midrash de Gn.1,1 autour du mot tête (r’sh)), « pour en faire le centre de la foi messianique et en prolonger les conséquences sur le plan du salut et de l’église » (B 70). Bref, le mystère de la volonté libératrice de Dieu consiste à former la création entière pour être le corps du Christ, qui en est la tête. Et l’Église joue le rôle transitoire de servir ce projet de grâce de Dieu. La libération (rédemption) de la création passe ainsi par l’humain renouvelé en Christ. Dans la confiance en ce désir de Dieu, nous pouvons donner à la nature le sens de création. |