BàBâR : les textes de Christian Jean-4

 

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BàBR 2023-2024/EVANGILE DE JEAN

JEAN 4/1-54 /TEXTE ET CONTEXTE

 

Cursus herméneutique.

A la suite de notre Interlude de la semaine dernière autour du livre de Josué, entre texte et prétexte, et avant de revenir à l’évangile de Jean et d’en étudier le chapitre 4, petit rappel de ce qu’est le cursus herméneutique, tel qu’il a été  élaboré entre autres par Paul Ricoeur.

 

Le texte en soi n’existe pas réellement. Il existe dès lors qu’il est lu, interprété, soumis à notre sagacité, éprouvé, partagé, authentifié ou rejeté.

 

> Première étape : La compréhension, ce que dit le texte

Contexte du texte :       

– historique, social et politique, littéraire (langue et style), culturel et religieux

– son ou ses auteurs, les différents moments de sa composition, sa réception, sa canonisation

– ses différentes versions et traductions

– sa place parmi les autres textes du même livre, ses parallèles dans le même livre ou dans d’autres    livres.

> Deuxième étape : L’interprétation, ce que nous dit le texte

D’un contexte à un autre  :

– ses réceptions postérieures, sa ou ses canonisations, son parcours dans l’histoire du judaïsme, dans celle du christianisme (à l’aune de la Trinité ou de la Sola Scriptura par exemple) et éventuellement de l’Islam

– son autorité et son statut (Parole de Dieu ou témoignages humains), son ou ses actualisations et utilisations (piété, édification et exhortation, interpellation et réflexion), ses multiples interprétations (démythologisation, traductions oecuménique ou français courant, lectures catholiques ou protestantes), et ainsi de suite.

> Troisième étape : L’application, ou l’action, ce que nous fait dire, fait faire et fait vivre le texte

Dans notre contexte  :

– ses appropriations personnelles et collectives (en Eglise par exemple ou citoyenne aussi)

– son sens, sa portée : en quoi il me (nous) concerne, m'(nous) émeut, me (nous) convertit

– usages et utilisations du texte, latitudes et limites (texte-prétexte à mes (nos) convictions, mes (nos) opinions, ma (nos) façon(s) de vivre).

 

Nous allons ci-dessous nous en tenir à la première étape, celle de l’exégèse.

 

L’exemple de Jean 4

Ainsi, pour donner un exemple de la nécessaire contextualisation d’un texte, on ne peut bien étudier L’entretien de Jésus avec la Samaritaine (Jean 4/1-42), sans le situer dans l’ensemble et dans la perspective de l’évangile de Jean. entre autres choses :

– tout ce qui est dit au sujet de l’eau (baptême de Jean-Baptiste Jean 1/10-28, notre texte autour d’un puits) et du vin, pourquoi il y a justement un Second signe de Cana (Jean 4/43-54), comme un rappel de ce qui est en jeu,

– tout ce qui du coup est dit de la chair et du sang, pourquoi Jésus, l’Agneau de Dieu (Jean 1/29-34) lui ne baptise pas puisqu’il est lui-même, par sa vie et son oeuvre, le baptême,

– tout ce qui est donc dit de la réalité de l’Incarnation, du tout début de l’évangile avec son Prologue (Jean 1/1-18) jusqu’à la fin avec la confession de foi de Thomas devant le crucifié ressuscité : Mon Seigneur et mon Dieu (Jean 20/24-29),

– tout ce qui est dit de l’Esprit et de son effusion (Jean 3/3 et 5), de Celui qui vient d’en haut (Jean 3/31-36), d’être pleinement dans le monde sans être pour autant du monde (Jean 17 en particulier),

– tout ce qui est dit de l’actualité – en Jésus le christ  – de la réalisation de la Promesse de Dieu : non seulement le fait que Jean conjugue beaucoup son évangile au présent comme nous l’avons remarqué avec l’étude de Jean 3, et comme nous le remarquerons plus loin, et que corrobore notre texte d’aujourd’hui : Mais l’heure vient, elle est là ! (Jean 4/23a), Mais moi je vous dis : levez les yeux et regardez : déjà les champs sont blancs pour la moisson (Jean 4/35b).

 

Quelques précisions sur Jean 4

> La Samarie : En chemin pour la Galilée, Jean nous dit que Jésus y va en passant d’emblée par la Samarie où s’y déroulera par ailleurs une bonne partie de son ministère. Ce n’est pas anodin.

– Sans doute parce que la communauté johannique était probablement en étroite relation avec les milieux religieux samaritains, ce que nous avons relevé lors de nos précédentes rencontres. Or, évoqué Jésus fréquentant ces hérétiques, ces impurs de Samaritains, c’était se dédouaner de leurs propres relations avec les Samaritains.

– Sans doute également parce que la communauté johannique installée à Ephèse au contact des goyim (non-juifs) voyait dans ce périple samaritain de Jésus une sorte de préfiguration de sa vocation ecclésiale et de sa mission.

– Selon l’historien Flavius Josèphe (37-98 ap. JC), un prophète samaritain enseignant quelques années après la mort de Jésus une nouvelle façon de voir le Temple, fait allusion à un prophète qui a déjà tranché la question du culte légitime, et qui pourrait bien être celui qu’a rencontré la Samaritaine selon Jean 4.

 

> L’eau, le baptême et les ablutions d’eau :

Ce qu’il se passe autour du puits de Sychar entre Jésus et une Samaritaine n’est pas seulement l’histoire d’une belle et édifiante rencontre. C’est en arrière plan toute l’histoire de l’importance existentielle et symbolique de l’eau, de sa place dans la piété et les traditions religieuses, des débats théologiques auxquelles elle donne lieu, autrement dit ce qu’elle révèle de la constitution d’Israël et de ses obsessions relatives à la pureté entre autre.

Comme le souligne Charles Perrot, ancien professeur de l’Institut Catholique de Paris spécialiste du judaïsme au 1er siècle, Les rites d’eau, avant l’accès au Temple et ailleurs, se multiplièrent… à l’exemple du monde hellénistique où les rites de pureté étaient alors en vogue. Cette idéologie lévitique permettait… de contrer le processus d’une acculturation romaine rampante, en édifiant une « haie » autour de la Torah (Mishna, Aboth 1,1)… Comme le dit le Midrash Sifra sur Lévitique 11/45 : « Comme je suis saint – dit Dieu – vous serez saints, comme je suis séparé vous serez séparés (perushim, pharisiens). Israël devient le lieu d’un espace sacré, à la manière du Temple.

Cet idéal lévitique de purification qui anime parmi d’autres les sectaires de Qumrân, vise jusqu’au Temple et ses sacrifices qu’ils considèrent comme étant souillés.

Au point que l’importante caste des sadducéens et ses prêtres et les notables de Jérusalem qui les soutiennent se gaussent de ses rituels et dénoncent la surenchère des rites d’eau.

Les disciples de Jean Baptiste s’éloigneront eux aussi de ces excès, en retenant principalement le baptême et en faisant de ce rite de conversion des prosélytes le signe d’une conversion afférente au pardon des péchés.

Et Jésus qui, on l’a relevé ne baptise pas, va encore plus loin dans la relativisation des rites de pureté et des incessants débats afférents auxquels se prêtent les milieux lévitiques et sacerdotaux, mais aussi, d’une certaine façon, plus apaisée, des enseignements de Jean Baptiste, même si celui-ci se fait discret comme  il l’atteste avec sa belle déclaration relatée en Jean3/27-30 : … Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue.

On imagine à partir de là pourquoi ses relations avec les pharisiens entre autres sont difficiles même s’il ne faut pas mésestimer qu’il a pu en  avoir de fort riches avec certains d’entre eux, les pharisiens entre eux comme c’était aussi le cas des esséniens se disputant entre eux selon le degré de pureté que chacun respectait.

De même que l’on imagine pourquoi il y a pu avoir des tensions entre disciples de Jésus et disciples de Jean Baptiste.

 

> La Samaritaine, ses maris, son témoignage :

Le dialogue de Jésus avec la Samaritaine au sujet de ses maris, ainsi d’ailleurs que la suite sur son témoignage (Jean3/16-42) auprès des gens de Sychar, ne s’est peut être pas déroulé au même moment, ou avec la même personne que celui au sujet de l’eau (Jean 4/1-15).

Il n’en demeure pas moins que de les avoir liés souligne avec force, et accentue même en mettant en évidence le fait que Jésus parle avec une femme, qui plus est une Samaritaine, qui plus est encore plus  une pécheresse (une pure impure !), la réalité des distanciations de Jésus d’avec les milieux les plus conservateurs, et met davantage en évidence la singularité et, ce faisant la portée de sa vie et de son oeuvre.

D’autant plus de part en part de cette ou de ces histoires, il est question d’eau de vie (Jean 4/14), et de nourriture de vie (Jean 4/32). En fait de vin et de pain : c’est déjà la Cène. De sang et de chair : c’est déjà la Passion.

 

Avec mon amitié. Christian (28 novembre 2023)

 

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