BÀBÂR : LES TEXTES DE CHRISTIAN JEAN-6

JEAN 6/1-71

BàBR 2023-2024/EVANGILE DE JEAN

JEAN 6/1-71/L’AUTRE RIVE

 

Passer d’une rive à l’autre

Reprenant volontiers le récit que nous fait Genèse 32/22-24 du passage du Jabbok par Jacob (l’inversion des syllabes n’est pas fortuite), j’ai souvent partagé avec vous cette image des deux rives, du passage d’une rive à l’autre, pour illustrer les étapes importantes du cheminement de la compréhension, de la conviction, de la foi, avec leurs engagements afférents.

En rappelant chaque fois qu’une rive ne va pas sans une autre rive, que si passer sur l’autre rive représente un saut important, une réelle avancée, et peut-être même un changement de perspective, la rive d’où l’on vient – on pourrait y voir une image de la tradition – n’est pas pour autant oubliée, loin de là, rappellerait-elle de mauvais souvenirs.

Il est remarquable que les multiples auteurs et rédacteurs de la Bible, et c’est ce qui explique qu’il y aient tant de documents divers, disparates, contradictoires quelquefois, aient gardé aussi ce qui n’étaient pas à leur honneur, comme si, confusément ou non, leur mission ultime était de montrer – de témoigner – que, quelles que soient les circonstances, les situations, le Seigneur nous relève, nous soutient, nous guide, nous donne d’avancer et de grandir.

 

L’image d’une ligne de partage

C’est vrai avec les évangiles synoptiques, mais plus encore me semble-t-il avec celui de Jean – ou de la communauté johannique, et on la devine très vite, dès les grandes affirmations du Prologue, plus encore avec les passages relatifs au ministère de Jean Baptiste, et on la voit se dessiner de plus en plus au fil des chapitres : la ligne de partage entre les deux rives, celle de Moïse et celle de Jésus, celle des Juifs, prêtres, scribes, pharisiens et autres qui espèrent toujours le Messie et qui voient en Jésus un blasphémateur, et celle des judéo-chrétiens, des disciples, des premiers témoins et de la toute primitive Eglise qui confessent que Jésus est le Messie (Christ en grec).

Mais lisons ce qu’écrivent parmi d’autres E. Lohmeyer : Avec le Baptiste paraît la coupure, le tournant des temps. La Loi et les Prophètes ne sont plus le dernier mot qui donnait au passé son sens et son existence. Il y a maintenant des faits, alors que jusque là, il y avait des prophéties… Ce qui était jusque là objet de promesse et d’espérance est passé au stade de la réalité…

Et H. Kraeling : (Jean Baptiste) est placé sur la ligne de partage entre la période préparatoire, et celle où le Royaume est présent, même (s’il est) contesté.

 

Jean 6/4 : Derrière l’insistance avec laquelle Jean place les gestes significatifs de Jésus lors des Fêtes juives, relatives à la Pâque (cf. aussi 2/13 et 2311/5, 12/1, 13/1, 18/28 et 39), aux Tentes (7/2), à la Dédicace du Temple (10/22), on devine les tensions grandissantes entre Jésus et les notables Juifs, et plus encore, 45-50 ans plus tard, les virulentes polémiques entre l’Eglise et la Synagogue, surtout dans un contexte de diaspora où la toute jeune communauté johannique est peut-être plus isolée et moins outillée que celles restées au pays à en croire ce que dit Luc dans son Livre des Actes (18/24 à 19/10). .

 

Jean 6/16-21 Les passages relatifs à la marche sur la mer et, en Jean 6/5-13 et 22-50 au pain de vie, sont, dans les débats houleux et de plus en plus durs qui agitent – jusque dans les rangs des disciples semble-t-il – les tenants de Moïse et ceux de Jésus, de claires allusions à l’Exode, à la miraculeuse traversée de la Mer Rouge (ou de la Mer des Roseaux), et à la miraculeuse manne trouvée en plein désert du Sinaï, (allusions) par lesquelles Jésus déniaise tous les adorateurs de Moïse en déclarant sans ambages : En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel (6/32).

Jésus marchant sur la mer et multipliant les pains atteste ce faisant qu’il est bel et bien le Fils de ce Père que les Juifs pourtant appellent Abba, qu’il est l’Oint (Messie-Christ) de ce Dieu que les Juifs pourtant invoquent. Seulement, comme Jésus le leur rétorque : Vous avez vu et vous ne voyez pas (6/36).

 

6/51-58 Tout ce passage sur la chair de Jésus  et sur Jésus en chair qui bien sûr fait écho au Prologue, témoigne précisément que quel que soit le nombre des notions mythologiques dont il s’est servi pour formuler son message, (Jean peut-être plus encore que les synoptiques) ne proclame aucune idée mythologique, mais l’importance existentielle d’une personne historique, explique James Robinson dans le Kérygme de l’Eglise et le Jésus de l’Histoire. Quand même on pourrait objecter que le kérygme (le message) ne se préoccupe pas d’un Jésus « kata sarxa » (selon la chair) – si l’on entend par là un Seigneur historiquement démontré – il est cependant manifeste qu’il s’agit dans le kérygme d’un Jésus « en sarxi » (en chair), dans ce sens que le Seigneur céleste est une personne historique. Cette insistance sur l’historicité de Jésus… est essentielle et ne peut être oubliée, justement parce que le kérygme en nous libérant d’une vie  « kata sarxa » (selon la chair), proclame l’importance d’une vie « en sarxi » (en chair).

 

6/61b Jésus serait donc un sujet de scandale jusqu’aux yeux des disciples.

Etymologiquement le mot scandale, skandalon en grec désigne un piège, un trébuchet, scandalum en latin une pierre d’achoppement, traduction de l’hébreu miksôl, obstacle sur lequel on bute.

Cette remarque de Jésus n’est pas de pure forme, une tournure langagière, elle exprime de façon tangible la montée de la violence. Cette pierre scandale sur laquelle ils sont nombreux à trébucher, certains se baisseront pour la ramasser et la retourner en la jetant contre celui qui les font trébucher, comme s’ils n’étaient nullement en cause – par leurs propres maladresses – dans ce trébuchement.

Prêts à la lapidation. Nous reviendrons là-dessus lorsque nous aborderons le récit de la femme adultère en Jean 7/53 à 8/11.

Et bien sûr lorsque, arrivant à la fin de ce même chapitre 8, nous lirons le terrible verset 59 : Alors, ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui, et Jésus se déroba et sortit du Temple, dans lequel résonnent les arguments fourbis par la communauté johannique pour expliquer, voire justifier sinon son antijudaïsme, son opposition déterminée au judaïsme maintenu ou canal historique pour reprendre des qualificatifs utilisés dans le champs politique des 20e-21e siècles.

S’en distinguer était certes nécessaire pour que ressorte vraiment l’originalité (son origine céleste, divine, spirituelle, selon les termes retenus par Jean) de Jésus, Messie-Christ. Mais fallait-il que ce soit au prix effarant que l’on connaît ?

 

Quelques mots sur un partage douloureux

Quoiqu’il en soit, avec Jésus, on est décidément passé sur une autre rive.

Et, malheureusement, ce n’est pas tant la paix que l’épée que l’on y a trouvée.

La venue du Messie tant attendu, mais fallait-il encore que l’on s’entende par ce que les uns et les autres attendaient vraiment, aurait quand même pu en réconforter et réjouir davantage, pourquoi pas des foules entières comme cela semblait quelquefois possible.

Tout au moins plutôt qu’aux méchants affrontements et aux schismes on aurait pu s’en tenir aux franches confrontations, aux disputations théologiques auxquelles les synagogues, les écoles talmudiques avaient pourtant patiemment et longuement préparés les uns et les autres, quand même il est vrai que les partis conservateurs, les législateurs effrénés, et la caste sacerdotale en général ont toujours eut  tendance à l’emporter, en particulier sur les mouvements prophétiques.

Et ce qui se passa avec le judaïsme se passera avec une chrétienté très vite oublieuse des exigences évangéliques. Comme si, en fin de compte, et c’était vrai déjà avec les tout premiers disciples, les chrétiens eux-mêmes avaient bien du mal à croire vraiment, qu’avec Jésus, le Messie, le Christ, c’est le Royaume qui est instauré, et à vivre pleinement (de) cette Bonne Nouvelle.

Il est douloureux de constater à quel point l’ouvrage divin, dont rendent chacun à leur façon les grands textes de la Torah (le Pentateuque), des Ketouvim (les Ecrits : récits historiques, louanges et sagesses) et des Nevihim (les Prophètes), des évangiles et des épîtres (le Nouveau Testament), et l’on pourrait y adjoindre le Coran, est dévoyé, comme retourné contre Celui qui pourtant, miséricordieux, lent à la colère, riche en bonté, n’a de cesse d’apprendre aux humains les richesses de l’altérité et l’art du vivre ensemble.

 

Je pense que vous serez d’accord avec moi au moins pour appeler, en même temps qu’à un sérieux questionnement de la chrétienté, à un renouvellement des amitiés judéo-chrétiennes, et des rencontres avec les musulmans.

 

Avec toute mon amitié, Christian (10 janvier 2024)

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