Catéchisme d’adultes : La foi seule

© Photo par David Kovalenko sur Unsplash

La foi…

Le théologien allemand de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, Adolf von Harnack, disait : « Rien ne donne plus de courage à quelqu’un que la confiance qu’on lui porte. » En effet, ceux qui ont accepté d’être aimés de manière absolue et entièrement gratuite peuvent en témoigner. Ils attribuent un tel amour à un être transcendant, que la bible nomme Dieu. Ils peuvent le comparer à une source inépuisable de vie et d’amour, une grâce surabondante qui suscite en eux une confiance en elle sans cesse renouvelée : plus on se sent aimé, plus notre confiance en celui qui nous aime grandit.

La foi comme relation de confiance en Dieu est ainsi sans cesse suscitée par sa grâce.

L’envie de mieux le connaître ne vient qu’après, comme intelligence de la relation que l’on vit avec lui.

Une relation dynamique et non statique.

La théologie chrétienne a été longtemps faussée par la philosophie grecque qui considère Dieu et l’humain comme statiques et immuables dans leur être. Dans la culture vétérotestamentaire, généralement reprise par les auteurs du Second Testament, la πίστις suppose, au contraire, une relation dynamique et sans cesse réajustable ; elle est la confiance vécue dans la relation entre deux personnes. L’apôtre Paul, premier à écrire dans le Nouveau Testament, se démarque de la philosophie aristotélicienne pour revenir à la définition biblique de la relation à Dieu.

La Réforme protestante, au XVIe siècle, en tentant une relecture de Paul et des auteurs bibliques, n’a pas complètement réussi à réformer la conception statique de la relation à Dieu.

Le mot grec πιστεύειν (240 occurrences dans le Nouveau Testament) signifie « compter sur », « avoir confiance », « ajouter foi » (Bultmann). Suivi de la préposition εἰς, il signifie « croire en » pour parler du choix de ceux qui sont passés d’une autre religion à la religion chrétienne ; c’était le verbe désignant la conversion au christianisme (avec ἐπιστρέφειν πρός qui signifie « se tourner vers »).

Le mot grec πίστις, traduit généralement par « foi », signifie, d’après le dictionnaire Bailly, d’abord la confiance en autrui ou la fidélité envers autrui, et ensuite seulement le résultat de cette confiance comme action de tenir pour vrai ce que l’autre est ou dit.

Dans le judaïsme du Ier s. déjà, le mot πίστις signifiait la relation religieuse entre l’humain et Dieu. Paul, premier auteur du Second et Nouveau Testament, reprend ce concept, avec l’idée d’une obéissance de la foi (Rm.1,5 : « amener à l’obéissance de la foi tous les païens ») qui signifie obéir à la bonne nouvelle (ὑπακούειν τῷ εὐαγγελίω), c’est-à-dire accepter la relation que Dieu propose.

L’espérance (ἐλπίδα) est très proche de la foi dans la bible (Rm.4,18 : « qui espérant contre toute espérance, crut »).

Les épîtres tardives, deutéropauliniennes comme les lettres aux Éphésiens, aux Colossiens et les pastorales, proposent un nouveau sens du mot πίστις, non plus comme rencontre mais plutôt comme un dépôt auquel il faut adhérer. Du coup, la foi devient une vérité statique et non plus une dynamique relationnelle. Cette vérité n’est en aucun cas le résultat de la lumière naturelle de la raison humaine, puisque « tous ont péché » et « nul ne peut » aller jusqu’à Dieu (Rm.3,23 et 6,23) ; à cause du péché, l’humain refuse la connaissance que Dieu révèle de lui-même (Rm.1,28).

… seule

La foi comme appartenance

L’auteur de la lettre aux Hébreux propose une définition de la foi : « La foi est l’assurance des choses qu’on espère, et la conviction qui démontre celles qu’on ne voit pas. » (Hb.11,1 : Ἔστιν δὲ πίστις ἐλπιζομένων ὑπόστασις, πραγμάτων ἔλεγχος οὐ βλεπομένων)

La lettre aux Hébreux présente le Christ comme étant le grand sacrificateur parfait qui se donne lui-même en victime sacrificielle, et par lequel les promesses de salut faites par Dieu s’accomplissent. L’auteur peut ainsi affirmer que la foi « tient pour vrai » ce qui a été promis. La foi est ici définie comme assurance confiante dans la Parole de promesse de Dieu.

La foi comme adhésion à une vérité

Dans la vie spirituelle des premiers chrétiens apparurent des formules liturgiques pour exprimer leurs convictions. L’une de ces formules est très probablement reprise par l’apôtre Paul : « Si tu confesses de ta bouche que Jésus est Seigneur, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » (Rm.10,9, πιστεύσῃς ἐν τῇ καρδίᾳ σου ὅτι ὁ θεὸς αὐτὸν ἤγειρεν ἐκ νεκρῶν, σωθήσῃ). Le contenu de ce qu’il fallait croire était ainsi résumé. La promesse de Dieu s’accomplit pour le croyant lorsqu’il tient pour vrai ce contenu de la foi, lorsqu’il « croit que » (πιστεύειν ὅτι) ce contenu est vrai.

La foi comme double mouvement

Mais Paul ne s’arrête pas à cette définition encore statique et surtout intellectuelle de la foi. Pour lui, comme pour la culture biblique en général, la foi n’est pas une simple adhésion à un ensemble de vérité ; la foi est davantage une rencontre et une relation réajustable avec Dieu. Ainsi trouve-t-on chez Paul un double mouvement de la foi : une foi humaine dans la foi du Christ, ou, dit autrement, une confiance dans la fidélité du Christ. Très souvent, lorsque Paul parle de la justification de l’humain par Dieu, il répète deux fois l’idée de foi, soit par un verbe et un substantif, soit par deux substantifs. Dès le premier chapitre de son traité de théologie adressé aux chrétiens de Rome, il affirme que « en Christ, la justice de Dieu est révélée de la foi pour la foi » (Rm.1,17, δικαιοσύνη γὰρ θεοῦ ἐν αὐτῷ ἀποκαλύπτεται ἐκ πίστεως εἰς πίστιν). J’entends « de la foi du Christ pour la foi humaine ».

De même, dans la lettre de Paul aux Philippiens, dans un passage où se concentrent plusieurs mots-clés de sa théologie, il dit que « nous sommes trouvés en Christ, non pas avec notre justice qui vient de la Loi, mais avec celle par la foi du Christ, la justice qui vient de Dieu sur la foi » (Php.3,9, καὶ εὑρεθῶ ἐν αὐτῷ, μὴ ἔχων ἐμὴν δικαιοσύνην τὴν ἐκ νόμου ἀλλὰ τὴν διὰ πίστεως Χριστοῦ, τὴν ἐκ θεοῦ δικαιοσύνην ἐπὶ τῇ πίστει).

La foi comme attachement et dépendance

L’évangile de Jean reprend à son tour l’idée de rencontre et de relation confiante entre le Christ et le croyant en racontant, entre autres, la parabole de la vigne : « Je suis le cep et vous êtes les sarments » (Jn.15,1), « demeurez en moi, et moi en vous… » (Jn.15,4, μείνατε ἐν ἐμοί, κἀγὼ ἐν ὑμῖν), « et vous porterez des fruits ».

La grandeur de la sainteté de Dieu et la plénitude de sa grâce suscitent en nous de l’émerveillement et un sentiment pur et simple de dépendance absolue vis-à-vis de lui. Une telle relation de dépendance réciproque, fondée sur la grâce de Dieu, n’est pas un asservissement, mais nous libère, au contraire, et nous responsabilise ; elle nous invite à intégrer comme nôtres ses attentes.

La foi vécue au quotidien

Nous le voyons, la vie que Dieu offre sans condition résulte de sa seule grâce, par le moyen de la fidélité du Christ qui suscite en nous la confiance et le courage de l’accepter, sans les œuvres que nous pouvons accomplir, et indépendamment de nos croyances ou de notre adhésion ou non à une vérité institutionnelle ou à une religion.

La foi et le doute…

Le doute est ici avant tout un questionnement, plutôt qu’un désespoir. La relation de confiance mutuelle avec Dieu est une quête sans cesse questionnée et réajustée, jamais acquise définitivement. Il arrive souvent que le cheminement dans la relation à Dieu suscite des questionnements sur lui, sur nous et sur notre relation avec lui. Être justifié signifie vivre une relation sans cesse réajustée avec Dieu. Cela a conduit le théologien suisse, Alexandre Vinet, à écrire : « La vérité, sans la recherche de la vérité, n’est que la moitié de la vérité. » (Alexandre Vinet, Essais sur la manifestation des convictions religieuses, Genève, Paulin : 1842, p.391).

Dieu peut-il être connu avec certitude ? Est-il accessible à la seule raison humaine (CEC §47) ? La foi est-elle un dépôt contenu dans un livre ou dans un dogme (CEC §84) ?

La foi comme risque

L’apôtre Paul comprend la foi comme un courage d’être enfant de Dieu (Rm.8,15-17). La grâce de Dieu nous donne le courage d’être aimé et accepté par lui. Cela comporte certainement des risques, tout comme nous osons dans la foi affirmer que Dieu lui-même, dans sa grâce, a pris le risque de se révéler en Christ, s’effaçant et s’abaissant lui-même jusqu’à la mort sur la croix (Php.2,5-9). Tout témoignage de cette grâce de Dieu est une prise de risque, ne serait-ce qu’en choisissant tel mot et non tel autre pour dire ce que nous vivons et ce que nous croyons. Je reprends une image que j’ai trouvée chez André Gounelle (Foi vivante et mort de Dieu), qui compare le rapport entre la foi, pure relation de confiance en Dieu, à la source, et la vie spirituelle, qui en découle, à la rivière où les eaux pures s’écoulent, mais aussi se salissent en charriant beaucoup de choses. Pourtant, les animaux et les cultures préfèrent attendre l’eau plutôt dans les plaines où coule la rivière.

La foi comme vision nouvelle de l’histoire et de la création

Dans la vie spirituelle de confiance vis-à-vis de Dieu, tout est désormais vu à travers les lunettes de la grâce du Dieu qui souhaite récapituler la création entière dans son amour sous un seul chef : le Christ (Eph.1,10). La vie spirituelle qui découle de cette grâce de Dieu, s’engage à dire oui librement à la mission de servir et de garder la création sous la grâce de Dieu. D’après certains exégètes, le mot δικαιοσύνη, utilisé par l’apôtre Paul et traduit en français par « justice », est la traduction dans la bible d’Alexandrie (la Septante ou LXX) de l’hébreu צדָקָה, « conforme à sa propre définition ». Paul comprendrait donc le mot δικαιοσύνη dans ce sens. Dans sa justice, Dieu demeure fidèle à lui-même : il est grâce et sa justice signifie son dessein de salut pour la création.

La foi comme relation agissante

Dans sa lettre aux Galates, Paul dit que « ce qui importe c’est la foi qui agit par l’amour » (Ga.5,6, πίστις δι᾽ ἀγάπης ἐνεργουμένη). Encore une fois, il rappelle de cette manière que la foi se vit et agit dans une relation. Elle est suscitée par l’amour de Dieu, et agit grâce à cet amour et par cet amour.

Dans sa lettre aux Romains, Paul affirme que tout ce qui n’est pas « à partir de la foi » est un péché (Rm.14,23, πᾶν δὲ ὃ οὐκ ἐκ πίστεως ἁμαρτία ἐστίν). Autrement dit, tout ce qui est à partir de la foi est une œuvre bonne. Ainsi, pour Luther, tout ce qui est accompli sans la confiance dans la grâce de Dieu déplaît à ce dernier, même les bonnes œuvres les plus humaines et les plus grandes. Et tout ce qui est fait dans cette confiance plaît à Dieu, même le moindre geste le plus insignifiant (Traité des bonnes œuvres).

La vie spirituelle de foi s’origine dans l’amour du Créateur, et agit par l’amour envers toute créature.

Pour Luther, le chrétien est un libre Seigneur en toutes choses, et il n’est soumis à personne. Et en même temps le chrétien choisit d’être un serf corvéable en toutes choses, soumis à tout le monde (Traité de la liberté chrétienne).

L’éthique qui résulte de la grâce de Dieu est une quête permanente, libre et responsable. Elle conduit souvent, comme chez Kant, à une morale qui relève du bon sens, suivant la simple raison, indépendamment de toute religion.

La foi induit une définition de l’humain

L’humain qui vit de la grâce de Dieu est réconcilié avec ce dernier, avec lui-même et avec les autres. Son identité lui est sans cesse donnée par la Parole de grâce de Dieu qui lui dit : « Je t’aime d’un amour éternel. Tu es mon enfant, aujourd’hui je t’ai engendré. » L’humain ainsi défini vit devant Dieu et non par lui-même, par ses propres performances ou selon ses intérêts. Cela l’aide à vivre libre et responsable devant les autres créatures. Devant Dieu, il résiste à la tentation de vouloir devenir comme dieu. Devant Dieu, il est nommé enfant de Dieu, à l’image du Christ qui est l’image véritable de Dieu (2Co.4,4 et Col.1,15).

Contact